Un mois à la campagne

 

« Un mois à la campagne » d’Ivan Tourgueniev, dans une traduction de Michel Vinaver et une mise en scène de Clément Hervieu-Léger sur la scène du Théâtre Michel Portal de Bayonne dans le cadre de la programmation de la Scène nationale du Sud-Aquitain est une histoire d’amour aux multiples tiroirs sur fond d’une âme russe aux subtiles émotions.

 

Comme dans « Une des dernières soirées du Carnaval » de Carlo Goldoni  (cliquez), Clément Hervieu-Léger s’est emparé de ce texte brillamment adapté en 2018 par Michel Vinaver pour y apporter sa sensibilité à fleur de peau de metteur en scène dans cette ronde de personnages en quête d’amour dans une lutte des classes sans merci et lucide, prolongée par une vision d’une aristocratie en perte d’éclat.

Un texte écrit au XIXe siècle qui encore aujourd’hui fait les beaux jours de l’actualité.
Que l’on soit jeune ou à l’arrière saison de sa vie, cupidon ne cesse de jeter ses flèches qui atteignent plus ou moins ses cibles avec plus ou moins de bonheur.

Dans une scénographie d’Aurélie Maestre, des praticables aux couleurs chaudes, aux lignes géométriques épurées, mis en valeur par les lumières d’Alban Sauvé, s’emboîtent dans la douceur des rencontres enfiévrées, tels des solos, des pas de deux, qui s’enchaînent au rythme indolent des chassés-croisés amoureux pendant ce mois à la campagne dans un jeu de chamboule tout où les têtes ont bien du mal à rester sur leurs épaules.

Sur un air d’opéra en fond sonore, que l’on doit à Jean-Luc Ristord (mais aussi les tic-tac de la pendule qui résonneront plus tard pour nous signifier le temps qui passe dans ce mois à la campagne), Natalia, la femme du riche propriétaire Arkadi, un mari plus intéressé par la gestion de son patrimoine que de conter fleurette à sa femme, telle une comtesse aux pieds nus s’ennuie en écoutant la lecture de son amant platonique Rakitine, pendant que sa belle-mère joue aux cartes avec la gouvernante.
D’une vivacité étrange l’on comprendra que Natalia fait fi de la lecture pour ne penser qu’à la troublante présence du jeune précepteur au charme indéniable, dont il ne mesure pas la capacité à faire tourner les têtes, Alexeï, engagé récemment pour éduquer son fils Kolia.
Le filet de voix de son amant ne suffit plus à Natalia pour rester vivante, éveillée aux charmes de la campagne insouciante. Tout en étant consciente que l’on fait souffrir celui qu’on aime, elle a besoin de sentir des papillons dans son ventre et dans ses yeux pour exister, vivre dans cette petite aristocratie entretenue par son mari dont ses pensées et ses actes ne peuvent que la pousser vers un danger à l’issue incertaine.
Un précepteur venu de Moscou qui fait tourner également la tête de l’orpheline Véra placée sous la protection de Natalia, une délicate fleur qui ne demande qu’à éclore et qui pourrait bien être une rivale…et qui dit rivale…
Un petit monde aristocratique, dont la comptine « Aux marches du palais » viendra donner un petit souffle d’insouciance, encadré par un médecin, un Talleyrand de province, conscient de ces différences de classe, qui pourrait bien en manipulant cette « cour » bouleverser l’ordre des choses, avec au lointain un cerf-volant annonciateur, sur une brise légère, d’un renouveau.

Un théâtre russe qui a marqué notre époque, un théâtre où les thèmes de la vie sont décrits avec lucidité, pragmatisme, dont on ne se lasse pas d’écouter ses répliques qui font mouche à chaque fois, et dont l’humour et la musicalité, excellemment mis en valeur par Michel Vinaver, viennent souligner la dramaturgie.
Une dramaturgie dont Clément Hervieu-Léger connaît toutes les ficelles et qu’il retranscrit habilement dans la fluidité de sa mise en scène, soulignant l’essentiel, au service d’une troupe, celle de La Compagnie des Petits Champs, qui triomphe pour notre plus grand bonheur dans chacune de ses créations.

Une distribution de plus bel effet, habillée par Caroline de Vivaise, où chaque personnage dans un raffinement de justesse de jeu est mis en lumière par des comédiens qui habitent leurs rôles modestement pour mettre en valeur leurs arguments : Louis Berthélémy, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Stéphane Facco, Isabelle Gardien, Juliette Léger, Guillaume Ravoire, Mireille Roussel, Daniel San Pedro et Martin Verhoeven, nous ont émus, attendris, passionnés, subjugués par leurs charismes, tenus en haleine jusqu’à la dernière note, dernière réplique.

Une très belle soirée qu’il nous a été proposé de vivre dans la douceur d’une atmosphère rafraîchissante d’une campagne aux reflets amoureux.

 

« Un mois à la campagne » sur la scène du Théâtre Michel Portal de Bayonne, le 25 avril 2023.
Prochaine représentation : le 12 août dans le cadre du festival « Les nuits de la Citadelle » à Sisteron.

2 réflexions sur « Un mois à la campagne »

  1. Merci pour votre critique que je trouve très juste.

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