« Les gros patinent bien » sur la scène du théâtre Michel Portal dans le cadre de la programmation des Absurdités protéiformes de la Scène nationale du Sud-Aquitain, écrite et mise en scène par Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan, est une récréation de haute voltige clownesque sous couvert de cartons d’emballage recyclés qui s’envolent dans notre imaginaire.
Pierre Guillois avec sa tête d’ange aux cheveux hirsutes me fait penser à Sammy, le meilleur ami de Scoubidou, un personnage lunaire, et fort de son amitié de longue date avec Olivier Martin-Salvan, ils ont développé une nouvelle forme de théâtre où le texte s’illustre sur un défilé de cartons aux multiples fonctions sous nos yeux remplis de larmes de rires.
Ces deux là sont complètement fous, timbrés, pas une seule seconde ils n’hésitent par le truchement de leurs délires, matérialisés par l’abondance de messages, à nous faire entrer dans leur monde extraordinaire d’inventivité pour suivre le voyage d’un serial killer à la recherche de sa sirène tout en portant une dévotion à sa boisson favorite, sa drogue : le coca cola.
Sur le plateau, rideau ouvert, nous découvrons un lot de cartons de différentes tailles, de différents volumes avec sur l’un d’entre eux, à l’avant scène, inscrit un message curieux : « Début du spectacle dans 64 ans » pour ensuite passer à 65, 67 et même 70 ans. Une inscription modifiée par un échalas à l’œil fripon revêtu d’un boxer noir pour seul vêtement qui laisse présager le pire.
Apparaît ensuite, échappé d’une boîte surprise, assis sur un carton, un homme à l’allure très chic, en costumes trois pièces, baragouinant une espèce d’anglais aux onomatopées savoureuses dont on se demande bien à quel pays elles font référence, tant ce langage est incompréhensible.
Il est là pour nous conter par le menu son voyage depuis un fjord en Islande jusqu’à son arrivée à Pampelune en Espagne, avec un détour dans le pays basque, Bayonne oblige !
Un voyage qui dans un premier temps le conduira à traverser la mer pour arriver en Ecosse, un voyage au cours duquel il aura fait la connaissance d’une sirène qui hantera par la suite ses nuits et ses jours, en la cherchant dans toutes les étapes qui jalonneront son périple au risque de sa vie…et de celles des autres…puisqu’il apparaîtra comme un serial killer sans vergogne dont la tête sera mise à prix.
Un voyage qui déclenche les rires en cascade, dans lequel Pierre Guillois multiplie les pitreries savamment étudiées, un « décodeur mobile » sous-titrant en temps réel le langage d’Olivier Martin-Salvan que l’on nommera « L’homme statique », sans quoi il nous serait impossible de comprendre son épopée.
Comment ne pas rire aux éclats quand le décodeur mobile prend les allures d’une sirène aux yeux de biche, ou encore quand il se prend pour une mouette, une mouche, tout en nous jouant un air de biniou.
Pierre Guillois a la faculté de se glisser dans tous les personnages, les animaux, quelles que soient leurs tailles, qui peuplent le récit dans une aisance déconcertante. On croit à toutes ses visions : il est ce qu’il interprète sans aucune méchanceté, il vit intensément les paroles de l’homme statique pour nous en restituer la quintessence.
Un travail d’une complexité dont on ne mesure pas l’étendue. Se rappeler un texte, c’est déjà éprouvant, mais se rappeler pendant une heure et demie l’ordre de passage des cartons éparpillés un peu partout sur le plateau est un travail de mémoire gigantesque (même s’il est aidé par de précieuses mains en coulisse : Elvire Tapie et Colin Plancher, le tout orchestré par Charlotte Rodière) surtout au rythme où il sous-titre le récit de l’homme statique, imperturbable, qui ne s’arrête jamais de parler.
Quand à Olivier Martin-Salvan, le pince-sans-rire incarné, il explose, par sa bonhommie, de justesse dans son interprétation d’un texte sans queue ni tête. Un vrai travail d’orfèvre.
Ils signent une mise en scène à quatre mains au cordeau qui ne laisse place à aucune erreur !
Le rythme étant naturellement soutenu, la fatigue pointant le bout de son nez, ils arrivent encore, dans un enthousiasme débordant de générosité, à augmenter notre capacité à rire en se prenant à partie au détour d’une altercation bien orchestrée dans une interaction avec le public friand de leurs déboires.
Mais rassurez-vous ils arriveront à bon port…sans faute d’orthographe…
C’est dans une ovation débout délirante que l’on a pris congé de ces deux artistes à la virtuosité réjouissante qui ont largement mérité leur Molière du meilleur spectacle public 2022.
« Les gros patinent bien » sur la scène du théâtre Michel Portal, le 07 mars 2023.
Prochaines représentations : le 08 mars au théâtre Quintaou – Anglet, les 09 et 10 mars Chapiteau Harriet Baita à Saint-Jean-de-Luz et le 11 mars salle Apollo à Boucau.