« Drôle de genre » de Jade-Rose Parker mise en scène par Jérémie Lippmann sur la scène de La gare du midi à Biarritz, un évènement Entractes Organisations, est une comédie sociétale qui donne un irrépressible coup de pied dans la fourmilière, histoire de remettre les pendules à l’heure !
« Toute vérité n’est pas bonne à dire » un proverbe qui remonte au XIIIème siècle et qui est intemporel ou lui préférer « Toute vérité est bonne à dire » ?
Il y en a un qui s’en est sorti à merveille, c’est Luigi Pirandello avec sa pièce « A chacun sa vérité ».
Jade-Rose Parker une boulimique de travail aussi bien à l’aise en tant que romancière, scénariste, dramaturge, comédienne ou musicienne, signe avec Drôle de genre sa troisième pièce qui pour le moment est la seule à voir le jour sur scène mais avec quel succès !
Dans un décor d’Alissia Blanchard à la pureté symbolique, avec ce lustre aux plumes légères comme le temps qui passe, qui laisse le spectateur s’en approprier avec douceur, Carla, alias Victoria Abril, que l’on n’avait pas vue sur scène depuis Paprika, dont le portrait à la façon de la Joconde s’expose avec fierté sur un mur du salon, se prépare pour aller à l‘opéra, en compagnie de son mari François, pour assister au ballet Le lac des cygnes.
Une Carla, habillée par Laurent Mercier, qui s’échauffe en nous donnant la surprise d’effectuer un superbe grand écart avec son tutu noir et blanc qui fait penser à Odette et Odile, ou Odile et Odette, allez savoir…une ambigüité développée avec talent par un texte remarquable par sa fraîcheur et sa bienveillance, laissant libre cours au spectateur de faire son avis et de prendre position comme cela sera le cas dans une irrésistible interaction avec le public.
Un texte qui par sa finesse d’écriture permet de coller à l’actualité et qui pourra se jouer sans prendre une ride pendant encore des décennies si malheureusement les mentalités n’évoluent pas.
Aucun jugement n’est émis si ce n’est que l’auteure préfère que l’on se déchire sur scène et que l’on rit dans la salle, un pari réussi avec brio ; la comédie une arme des plus puissantes qui permet de réfléchir !
Mais me direz-vous sur quel sujet vont-ils se déchirer et nous emporter dans de très fréquents rires libérateurs d’une tension palpable sur scène ? Eh bien celui du genre, de l’identité…l’ouverture d’une simple lettre pourrait bien faire basculer une belle union qui donne l’illusion d’un couple parfait. Une écriture qui ne se perd pas en circonvolution et qui met les pieds dans le plat dès le début !
Comment réagir quand vous êtes marié depuis trente ans avec une femme, avec qui vous avez traversé toutes les épreuves de la vie, dans ses joies et ses peines, et qui ne vous a pas tout dit sur sa personnalité, mais qui malgré cette omission se voit dans l’obligation de révéler un secret qu’elle avait enfoui dans sa mémoire en toute bonne foi, puisque pour elle cela avait été une renaissance, préférant la chirurgie au suicide…
Pour pimenter l’action François, alias Lionel Astier, en pleine campagne électorale, en tête dans les sondages qui le rendent très optimiste, est un homme politique aux idées bien tranchées pour qui les centristes sont des lâches…pour rester audible : il faut savoir choisir son camp ! Lui qui se sent abusé, trahi, trompé par la marchandise, allant jusqu’à illustrer son propos, sa pensée, par l’image du viol. Une image très forte qui en dit long sur un sujet qui n’a pas fini d’enflammer la polémique, tant il est sensible par l’interprétation que l’on en donne, dans une prise de position qui souvent ne respecte pas le choix de la personne en se mêlant de ce qui ne la regarde pas. Chacun est libre de son corps, de sa vie, une évidence qui a encore bien du mal à entrer dans le cerveau de nos compatriotes.
Victoria Abril et Lionel Astier sont impressionnants dans la fusion de leur couple à la crédibilité parfaite. Ils naviguent comme des poissons dans cette eau de plus en plus trouble pour en extraire toute la jouissance d’un élixir de jouvence.
Ajoutez dans cette folle aventure, l’arrivée de la fille Louise et de son fiancé Julien, aux annonces tout aussi explosives, et vous aurez un cocktail que vous ne serez pas prêts d’oublier, tout en vous posant la question : que ferais-je si j’étais concerné ?
Jade-Rose Parker, l’auteure de la pièce interprète tout en nuances et détermination le personnage de Louise, lui donnant des couleurs à la fois attendrissantes et délicates. Quant à Axel Huet, le fiancé, aussi drôle dans ses silences que dans ses répliques piquantes, il nous charme par sa présence lumineuse. Un jeu tout en justesse déjà remarqué dans Comme en 14 de Dany Laurent (cliquez).
Pour orchestrer cette famille engluée dans un tourbillon de révélations explosives, il fallait un metteur en scène à l’œil aiguisé, farceur, qui sache manier le chaud et le froid dans un rythme qui ne faiblit pas et interprété par des comédiens chevronnés. Jérémie Lippmann, que j’avais déjà apprécié dans ses mises en scène de Rouge et Les souliers rouges, est de cette trempe.
Cette pièce est une pépite à l’humour féroce qui fait mouche à chaque réplique, saluée par une ovation debout très méritée.
« Drôle de genre » sur la scène de La gare du midi à Biarritz, le 15 décembre 2022, un évènement Entractes Organisations en accord avec Ki m’aime me suive.
Prochaines représentations à ne pas manquer : vendredi 16 décembre à Mérignac, mercredi 21 décembre à Clermont-Ferrand, vendredi 06 janvier 2023 à Le Blanc-Mesnil et samedi 07 janvier à Yerres…