Iphigénie

 

« Iphigénie » de Tiago Rodrigues dans une mise en scène d’Anne Théron, une production du Théâtre national de Strasbourg, au théâtre Quintaou d’Anglet dans le cadre de la programmation « Destination Portugal » de la Scène nationale du Sud-Aquitain est une plongée troublante, déroutante, dans une des plus célèbres tragédies de la mythologie grecque.

 

Tiago Rodrigues, né à Lisbonne, le nouveau directeur du festival d’Avignon qui succède à Olivier Py, a pris ses fonctions le 01 septembre dernier. Sa pièce a été représentée cette année au festival d’Avignon dans une traduction de Thomas Resendes.

Une histoire banale de sacrifice aux noms de dieux pour satisfaire des croyances qui n’engagent que ceux qui y croient, et encore, cela se complique quand une déesse est de la partie…
Agamemnon osera même déclarer : « Les dieux sont des histoires que l’on raconte au Grecs pour justifier ce qu’ils ne comprennent pas autrement ».

Pour mémoire, Hélène la femme de Ménélas, frère d’Agamemnon, le père d’Iphigénie, a été enlevée par Paris, prince troyen. Les deux frères décident de monter une expédition pour récupérer Hélène, mais hélas l’absence de vent empêche la flotte d’embarquer, depuis le port d’Aulis où se situe l’action, pour Troie.
Pour contrecarrer cette infortune, la décision du sacrifice semble inéluctable : Iphigénie sera la figure emblématique de cette tragédie qui traversera les siècles, jusqu’à cette version de Tiago Rodrigues où l’héroïne imposera ses choix : mourir oui mais à ses conditions, dans un vent de liberté qu’elle clame haut et fort.

Tous vêtus de noir par Barbara Kraft, Iphigénie, le Chœur, Achille, Ménélas, Agamemnon, Clytemnestre, le Vieillard et Ulysse entrent, dans le fracas d’un bruit assourdissant d’un hélicoptère brandissant un phare les paralysant les uns après les autres sur cette terre, ce rocher instable, cette plaque tectonique qui ébranlera leurs certitudes, proche de la mer, qui n’attend qu’une décision, qu’un souffle, pour vivre de plein fouet cette déflagration aux yeux du monde.
Une tectonique des sentiments qui, comme l’a si bien définie Eric-Emmanuel Schmitt, passe en une seconde de l’amour à la haine. L’amour d’un père, d’une mère, pour leur fille en balance à la haine que procure cette décision de sacrifice, qui sera sans retour possible.

Tel un narrateur qui officie tout au long de cette histoire, le chœur composé de Fanny Avram et Julie Moreau, décortique, découpe, dans un « je me souviens » à la répétition jusqu’à plus soif, l’action en séquences, pour nous présenter tous les aspects, les chemins sinueux qui ont engendré le sacrifice, celui d’une Iphigénie, interprétée tout en assurance à l’accent chantant  par Carolina Amaral. Elle qui ne veut pas mourir se glisse dans une jeunesse éclatante habillée d’une petite robe noire au col d’une blancheur étincelante. Entourée d’un père, joué tout en finesse par Vincent Dissez, fracturé entre son devoir de roi et son amour paternel dont le déchirant « OUI » au sacrifice fait encore écho dans nos oreilles, et d’une mère Clytemnestre meurtrie par la violence de cette guerre qu’elle maudit : Mireille Herbstmeyer excelle dans cet exercice d’une tragédienne au grand cœur.
Que serait Iphigénie sans son promis Achille par qui le « complot » prend forme à son insu, également à l’accent chantant, « Destination Portugal » oblige, joué tout en fraîcheur par João Cravo Cardoso. Un duo dans lequel l’introduction, au plus bel effet, de leur langue natale donne une touche de poésie dans cet enfer qui pointe sa puissance dévastatrice : la langue de leur amour inconditionnel qui embellit la violence de leur union. Cette scène de la soi-disant union prodiguera une lueur d’espoir dans un humour réconfortant à la noirceur prévisible.
Celui qui tire dans l’ombre les ficelles de cette tragique épopée est Ulysse dont Richard Sammut donne vaillamment vie par sa présence à la puissance de son jeu sobre mais remarqué.
Sans oublier Ménélas le frère bafoué d’Agamemnon, cocu, qui ne pense qu’à se venger sans vouloir en subir les conséquences : Alex Descas y prête toute son interprétation mystérieuse qui par bien des côtés nous interpelle.
Une voix et une présence puissantes donnent de l’éclat, lient ce mythe qui encore aujourd’hui fait parler de lui par la présence impressionnante de Philippe Morier-Genoud dans le rôle du Vieillard, du Messager.

Iphigénie ne se dérobe pas à son destin mais elle veut maîtriser le cours de son histoire ; telle est la lecture dont Tiago Rodrigues a voulu faire la démonstration.
Une jeune femme qui ne se laisse pas dicter sa conduite, qui fait preuve de maturité, jusqu’à choisir qui peut prétendre de son avenir : mourir en femme libre !
« C’est moi qui meurs, c’est moi qui choisis ! », comment cela doit se dérouler !
Une vision iconoclaste proche de celle d’Euripide et non de celle de Racine.

Il faut citer dans cette mise en scène au cordeau d’une sobriété époustouflante, laissant apparaître un jeu d’une troupe fusionnelle, la lecture d’Anne Théron, assistée de Thomas Resendes, qui a su mettre sobrement en valeur le texte de Tiago Rodrigues.
Cette mise en scène remarquable est additionnée des superbes vidéos de Nicolas Comte, dont les lumières de Benoît Théron et la création sonore de Sophie Berger donnent une vision encore plus troublante.
Cela forme un tout fracassant pour mettre en valeur la fragilité d’une Iphigénie bouleversante de sincérité, d’abnégation.

Iphigénie de Tiago Rodrigues mise en scène par Anne Théron dans une production du Théâtre national de Strasbourg est une version incontournable de la vision de la liberté d’expression de la femme !

 

« Iphigénie » au théâtre Quintaou d’Anglet, le 22 novembre 2002, dans le cadre de la programmation de la Scène nationale du Sud-Aquitain.
Représentations supplémentaires le 23 novembre, puis les 1er et 2 décembre à la Scène nationale de Brive-Tulle, et du 18 au 22 janvier 2023 aux Célestins à Lyon.

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