Fuga !

 

« Fuga ! » création du ballet chorégraphié par Pantxika Telleria au théâtre Quintaou d’Anglet dans le cadre de la programmation de la Scène nationale du Sud-Aquitain est une plongée déroutante dans les sauts basques, les mutxiko, s’étirant jusqu’à plus soif.

Le mutxiko ou un enchaînement de pas et de changements de sens de rotation avec ses Erdizka (demi-tour), Jauzi (Sauté), Dobba (doublé), Pika (coupé), et bien d’autres qui donnent cette impression de légèreté, de fluidité dans le geste, dans la complicité du regard, en temporisant sur une musique qui marque le pas.

Fuga ou la fuite, l’escapade dans la forêt de la mémoire, l’évasion d’un monde oppressant.
Tant de symboles, dans l’enchevêtrement de ces corps que l’on suit assidûment, évoquent dans nos pensées voyageuses des visions fugaces.

Originaire de Saint-Jean-de-Luz, Pantxika Telleria qui dans ses souvenirs d’enfance revoit sa mère et ses tantes dansant le fandango, a essayé d’entrer dans le cercle magique de cette danse aérienne…et cela lui a bien réussi.
En passant par des études de danse moderne jazz, classique, qui ne l’a pas convaincue, laissant en arrière gorge un goût amer de ce passage dans le conservatoire de Paris…où les pointes se sont également fait sentir…elle a préféré laisser de côté l’interprétation pour s’orienter vers la chorégraphie. Une résolution des plus sages qui a scellé son avenir dans ce monde cruel de la danse pour y développer son imaginaire dans des créations des plus reconnues par la profession (O !, Artha, Xihiko, Oa-Huetak, Ninika), au travers de sa compagnie Elirale (EliralE Konpainia).

Tout commence et tout finit par ce cercle magique mettant en scène trois danseurs qui esquissent des pas de fandango dans une harmonie rythmée par les sonorités étranges, singulières de la vieille roue (Torrom-Borrom) mise en mouvement par Romain Baudoin, présent sur scène,  dont il a le secret de la conception. Un musicien investi dans une écoute réciproque indispensable à la bonne exécution de ces pas qui se décomposent à l’infini sur un plateau éclairé dans un chaud et froid par Javi Ulla.

Dans la forêt de la mémoire, bientôt secouée par une tempête, que symbolise le décor de Thomas Tillous, les danseurs habillés par Dorothée Laurent avec leurs pieds ancrés sur le sol jusqu’au marquage équilibré de leurs doigts de pieds, soulèvent et balancent leurs corps à la recherche du temps qui passe…« Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !, Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » comme dirait un certain Charles Baudelaire.
De rencontres en duo ou en trio, voire en solo vibrant, Cyril Geeroms et Yutaka Takei, piliers de la compagnie à ses débuts sont confrontés à Oihan Indart, à la jeunesse insolente, qui vient bousculer leur univers avec ses pas chassés, le tout dans une harmonie corporelle et musicale respectueuse d’une chorégraphie au cordeau…au fil mouvant…en fuite perpétuelle.
Tel un corps sortant de sa coquille comme un oiseau venant de naître, devant un public très attentif aux moindres variations de cette vieille roue infernale distillant des sons inquiétants, cette créature ange ou démon se fraie un chemin dans cette forêt à l’image d’un pré carré emprisonnant toute tentative d’évasion, sur des chuchotements glissants sur un archet ensorcelé.
Une forêt qui engloutit tout étranger venant perturber sa tranquillité.

Un ballet marqué par sa modernité, alliant agilité, fluidité, technique et finesse d’exécution.
Trois danseurs au service de cet art noble de la danse dans une fusion relationnelle accentuée par une sincérité à fleur de peau pour cette première généreusement applaudie par un public conquis.

 

« Fuga ! » au théâtre Quintaou d’Anglet, Scène nationale du Sud-Aquitain, le 20 octobre 2020, représentation supplémentaire le 21 octobre à 20h.
Vu le 201022