« Belles de scène » de Jeffrey Hatcher – Mesdames à vous de jouer, adaptées par Agnès Boury, Vincent Heden et Stéphane Cottin qui en assure la mise en scène au théâtre des Gémeaux est une perle étincelante d’un collier à multiples facettes, à la fois cruel et sensible, sans oublier de faire sa coquette.
Nous sommes en 1661, le 08 décembre pour être précis. Après dix-huit années de fermeture imposées par la révolution puritaine, les théâtres sur ordre du roi d’Angleterre Charles II, après la restauration de la royauté, rouvrent.
Mais la loi interdit aux femmes de se produire sur scène, seuls les hommes sont autorisés à se travestir pour interpréter leurs rôles, tous les rôles. La domination masculine ne laisse pas de place à leur émancipation…
C’est ce que fait admirablement notre héros Edward Kynaston, un comédien adulé et coqueluche de tout Londres, interprète incontesté des plus grandes héroïnes Shakespeariennes…
« Une femme qui joue une femme ? Où est l’enjeu ? Où est la prouesse ? E. Kynaston
Mais malheureusement il va être l’un des derniers à avoir ce privilège, puisque le roi une nouvelle fois promulgue un décret qui donne l’autorisation aux femmes de jouer leurs propres rôles tout en interdisant aux hommes de les jouer.
Pour Kynaston, jouer un homme où serait l’art, celui de jouer une femme est beaucoup plus gratifiant, par sa recherche, son expression du jeu. D’ailleurs au lit, il ne peut concevoir que de jouer ce rôle, se sentir aimer, par sa Grâce le Duc de Buckingham qui finira par se lasser et lui refuser sa couche.
Une réplique à elle seule résume très bien la situation quand des voix s’élèvent pour dire que cela fait longtemps qu’en France les femmes sont autorisées à jouer sur scène :
« Voilà ce qu’on entend chaque fois qu’une horreur est sur le point d’être commise : cela fait des années que les Français le font ! ».
C’est la déchéance pour Kynaston qui n’avait pas vu arriver Maria sa fidèle habilleuse tentée de monter sur les planches. Car même si son jeu laisse à désirer, et sa scène d’audition très surjouée en est le témoin, le fait que cela soit une femme qui joue son propre rôle, les hommes en sont fous et l’adulent.
Fin de partie, c’est la descente aux enfers pour Edward Kynaston, tout le monde lui tourne le dos, il en est réduit à devenir serveur dans une auberge pour subsister à ses besoins.
On pourrait se demander pourquoi les théâtres ont été fermés si longtemps et pourquoi les hommes, s’en sont-ils réservé tous les rôles ? Chassez le naturel, il revient au galop !
L’adaptation du texte de Jeffrey Hatcher, basée sur des faits historiques, est remarquable par l’ambiance qu’elle crée avec ses répliques qui font mouche, ses bons mots, ses anecdotes sur la vie de cette époque décrivant la cruauté de la vie de la cour et des théâtres dans un humour très british.
Mais la rédemption n’est pas très loin, l’espoir est au bout du chemin de croix : Edward Kynaston est appelé à la rescousse pour corriger le jeu de la belle Maria, dite Margaret Hugues pour la scène, pour jouer ironie du sort une vraie femme…ce qui le conduira pour lui donner la juste réplique à découvrir comment doit jouer un homme…passion quand tu nous tiens !
Si j’ai été impressionné par le jeu d’une finesse et d’une précision remarquables de Vincent Heden, que j’ai découvert, il n’en reste pas moins que ses camarades de jeu sont brillantissimes à commencer par Emma Gamet qui nous éblouit dans les rôles de Maria – Margaret Hugues, entourée de Sophie Tellier, Patrick Chayriguès, Stéphane Cottin et Jean-Pierre Malignon.
Un régal de les voir interpréter tous les rôles qu’ils se partagent face à ce Kynaston imposant. Les costumes de Chouchane Abello Tcherpachian sont d’une beauté à faire pâlir plus d’un directeur de compagnie et contribuent au succès de la pièce.
Stéphane Cottin dans sa mise en scène réglée au cordeau pour obtenir un rythme soutenu lors des changements de lieux de l’intrigue et des costumes, parfois à vue, a su rendre exaltante cette histoire du théâtre dans le théâtre avec ses personnages qui ont réellement existé.
Des belles de scène qui ne peuvent que vous émouvoir, et vous faire aimer le théâtre ! A voir absolument !
« Belles de scène » au théâtre des Gémeaux à 21h10, relâche les mardis.
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