« Au scalpel » d’Antoine Rault dans une mise en scène de Thierry Harcourt au théâtre des Gémeaux est un affrontement de deux taureaux survitaminés dans l’arène du fratricide.
De mensonges en vérités, de vérités en mensonges on s’y perd dans ce capharnaüm de la pensée.
Dans une ambiance de salle d’opération, à la blancheur virginale et aux néons aveuglants, le décor, d’Emmanuelle Favre, de facture high tech s’ouvre sur quelques notes de pianos, sur une musique de Tazio Caputo, qui annoncent l’orage. Nous sommes dans l’appartement d’un brillant chirurgien sur le point d’aller se coucher. Opération oblige, il doit se lever à 5h00 pour être opérationnel à 7h30, les côlons n’attendent pas.
Un visiteur sonne et c’est à son frère, photographe de son état, qu’il va ouvrir. Un frère qu’il n’a pas vu depuis des années, qui s’introduit comme s’ils s’étaient vus la veille. Le sourire aux lèvres, il réclame un verre de vin, blanc de préférence, avant d’expliquer le motif de sa venue.
Ce premier contact aussi froid que le décor, réchauffé néanmoins par un magnifique aquarium haut en couleurs laisse de marbre le chirurgien qui souhaite se débarrasser au plus vite de l’intrus. L’exposition de quelques instruments chirurgicaux sur une étagère devrait nous mettre la puce à l’oreille.
S’ensuit alors une joute verbale des plus explosives entre ces deux frères tels Abel et Caïn, sans pouvoir les départager tellement les mensonges succèdent aux vérités qu’ils profèrent, qu’on y perd son latin, même si la construction très habile du texte nous laisse parfois, nous spectateurs, devancer les réponses de l’un des deux frères, même des deux. Un délicieux moment qui nous rend très complices de l’intrigue en nous plongeant davantage dans leurs secrets. Un plaisir non dissimulé envahit la salle décuplant ainsi la force des rires.
Tout y passe depuis l’enfance qui les a différenciés auprès de leurs parents. Chacun pouvant reprocher à l’autre par jalousie, par envie et même dans un sentiment d’infériorité, ce qui lui a pourri son adolescence.
Laver son linge sale en famille prend tout son sens avec ces répliques acerbes qu’ils se jettent à la figure dans un rythme effréné : de courtes répliques qui fusent tels des geysers libérant une pression insupportable.
Difficile de respirer quand on a gardé sur son cœur tant de rancœur qui se déverse comme un fiel nauséabond.
Naturellement le décès des parents ravive des querelles qu’il aurait mieux valu laisser derrière soi. On ne refait pas le passé, mais aller de l’avant leur est impossible s’ils ne font pas table rase du passé. Reprocher à l’un sa maniaquerie, sa suffisance et à l’autre de s’épancher sur le divan d’un psy ne fait pas avancer le schmilblick, tout comme les noms d’oiseaux qui s’égarent lors de piques bien envoyées.
Sans oublier le sujet crucial des épouses qui donnera beaucoup de grain à moudre aux deux frères. Chacun ayant connu plus ou moins intimement la femme de l’autre.
La flatterie ne sauvera pas la situation mais peut-être que les verres de Sancerre servis sans modération aideront à transformer les langues de vipères en langues d’amour fraternel…
La mise en scène au cordeau de Thierry Harcourt est un régal pour nos yeux, dirigeant ainsi adroitement nos deux comédiens sur des chemins qu’ils auraient certainement voulu éviter.
Le rythme qu’il leur impose nécessite de la part de Bruno Salomone et Davy Sardou, habillés par Emilie Sornique, une maîtrise parfaite de leurs textes respectifs. La fausse note n’est pas autorisée, tout juste un silence bien placé, au risque de faire dérailler le train.
Nos deux comédiens sont d’une précision admirable dans leurs propos, dans leurs jeux, chacun à leur manière apportant sa touche personnelle : dans le détail pour Davy Sardou avec ses expressions toujours fort à propos et une vision troublante d’un rapace où rien ne lui échappe pour Bruno Salomone.
Laissez-vous guider par le plaisir d’assister à un jeu du chat et de la souris sans savoir au fond qui est qui.
« Au scalpel » au théâtre des Gémeaux à 13h10, relâche les mardis.
A partir du 30 septembre 2022 au théâtre des Variétés à 19h.
vue le 140722.