Tartuffe Théorème

 

« Tartuffe » de Molière revisité par Macha Makéïeff sous le titre « Tartuffe Théorème », produit par La Criée, Théâtre national de Marseille, à la Scène nationale du Sud-Aquitain présenté au Théâtre Quintaou d’Anglet est une version sombre au contraste saisissant entre une noirceur du propos et les couleurs acidulées de son univers que l’on déguste comme des bonbons.

 

Macha Makéïeff ne cache pas pour son « adaptation » sa référence au film « Théorème » de Pier Pablo Pasolini, dont elle rend hommage, proposant un Tartuffe manipulateur, agissant en gourou d’une secte avide, comme il se doit d’argent, aux dépens de ceux qui l’écoutent, qui se laissent hypnotiser par la conviction de ses propos qui pourraient se démarquer dans une croyance du bien contre le mal : mais qui est le bien et qui est le mal ?
L’hypocrisie règne en maître dans cette famille, où ses liens se délitent dans la fulgurance de la progression de ce complot avec un final où pointe l’arroseur arrosé.

Tartuffe la pièce interdite en cinq actes et en vers, mais qui revient en force après quelques « arrangements », nous introduit un homme Orgon, en secondes noces avec Elmire, à l’écoute d’une mère très persuasive, Madame Pernelle, père de deux enfants, Damis et Mariane, qui est l’amante de Valère mais qui se voit destinée à Tartuffe par la volonté d’un père dont le comportement s’assimile à celui d’un tyran, aveuglé par la personnalité machiavélique de Tartuffe qu’il place, au grand désespoir de son entourage, sous sa protection.
Il y a bien Cléante le frère d’Elmire, la sagesse personnifiée, qui essaiera de lui ouvrir les yeux avec l’aide de Dorine, dans cette version une amie de la famille, au franc-parler sans oublier la bonne, la mouche du coche, mais rien n’y fera jusqu’à la démonstration implacable de sa femme Elmire, qui enfin lui ouvrira les yeux sur cet homme qu’il voyait comme un saint, dans une scène où une table sera les oreilles de la confession.

Macha Makéïeff a transposé l’intrigue dans les années 50, dont le propos de Molière est intemporel pour y voir possiblement une actualité brûlante, avec son décorum approprié. L’explosion des couleurs acidulées des costumes dont elle a le secret, où le vert n’a pas à rougir de sa présence, et où les chaussettes sont absentes pour les hommes, les ancrant davantage sur le sol pour une réflexion murie, à l’exception d’Orgon dont sa position navigue entre deux eaux, est au service d’un décor bourgeois laissant paraître l’aisance d’un Orgon à la cassette de l’avare.
Une cassette convoitée par un Tartuffe qui normalement n’apparaît qu’au troisième acte, mais qui dans cette version laisse présager avec son introduction dans un prologue très proche d’une vision d’une secte entourée de ses adeptes, une farce à la noirceur établie.
Nous en aurons la confirmation avec la scène fantastique d’une messe noire impressionnante, volent les corbeaux, volent…

Cette vision colorée me fait penser aux mises en scène, qui ne laissent pas indifférents, on aime ou on n’aime pas, de Lilo Baur avec à l’affiche actuellement à la Comédie Française son « Avare » et précédemment « La puce à l’oreille ».
Macha Makéïeff, comme Lilo Baur, deux femmes qui vivent dans leur temps, propose dans cette version qui dépoussière librement et avantageusement Molière tout en étant fidèle au texte, une mise en scène au rythme soutenu qui emporte le spectateur dans un tourbillon d’images, qui vont de la Castafiore de Tintin pour une Madame Pernelle au regard glaçant et aux envolées lyriques stupéfiantes avec une apparition évoquant le Commandeur pour un Dom Juan sous-jacent, à une bonne sous les traits d’un Tati extrêmement réjouissant qui apporte un rayon de lumière dans cette obscurité qui saisit la famille.

Assistés de Gaëlle Hermant et Sylvain Levitte, la mise en scène précise, cadencée, tempétueuse de Macha Makéïeff, dont elle signe également les costumes et le décor, est avide de réalité comme avec la démonstration de la fameuse scène « Cachez ce sein que je ne saurais voir », celle non moins célèbre de « Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ! », à celle, mise en valeur avec la disparition récente de Michel Bouquet, de l’étoffe : « Que fait là votre main ?…Je tâte votre habit, l’étoffe en est moelleuse ».

Une mise en scène où la musique de Luis Fernando Pérez tient une place de choix tant pour approfondir l’angoisse naissante, que pour nous réjouir avec par exemple son récréatif « Pepito » accentué par un jeu de mains extravagant. Les lumières de Jean Bellorini participent pleinement à la mise en valeur de l’intrigue.

Une jeunesse éclatante, fougueuse, entoure Orgon, interprété par Vincent Winterhalter, à la carrière riche tant sur scène que devant les écrans, qui campe avec finesse un père au naturel désarmant. Sa mère, Madame Pernelle, à la présence imposante et à la voix renversante est interprétée par Jeanne-Marie Lévy (mezzo-soprano de son état). Son épouse Elmire jouée par Hélène Bressiant dépeint une femme  aux ressources insoupçonnées. Les enfants, Mariane et Damis, un couple fusionnel et bondissant, sont interprétés tout en justesse par Nacima Bekhtaoui et Loïc Mobihan. Jin Xuan Mao, le frère d’Elmire, déploie avec passion ses arguments pour convaincre. Notre jeune amant Valère est un pétillant Jean-Baptiste Le Vaillant. Quant à l’amie de la famille, Dorine, c’est sous les traits offensifs d’Irina Solano que le combat prend forme. Sans oublier Pascal Ternisien, l’homme aux multiples visages qui nous fait bien rire avec ses facéties à la Tati et Luis Fernando Pérez dans le discret mais néanmoins indispensable Monsieur Loyal.
Pour conclure cette distribution riche en personnalités, nous avons dans le rôle titre de Tartuffe, Xavier Gallais, qui avec sa chevelure abondante et sa longue jupe noire, aux traits marqués par la soif de conquérir, est un saisissant et impitoyable Tartuffe et Pascal Rénéric dans la voix de l’Exempt qui sonnera le glas pour Tartuffe.

 

Un Tartuffe dont Molière serait certainement friand, qui se laisse déguster, bien assis dans son fauteuil, dans un plaisir non dissimulé.

 

« Tartuffe Théorème » au Théâtre Quintaou d’Anglet, Scène nationale du Sud-Aquitain, le 13 avril, représentations supplémentaires les 14 et 15 avril à 20h, puis les 20 et 21 avril à la MAC de Créteil, les 27 et 28 avril à la MC d’Amiens et les 11 au 13 mai à La Comédie de Caen.

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