Dans le programme « Regards croisés » au théâtre Le Colisée de Biarritz, c’est au tour de « Scène partagée » de nous révéler le talent de danseurs dans quatre solos décoiffants.
Honneur oblige, c’est Oihan Indart, le danseur basque bondissant du collectif Bilaka Kolektiboa implanté à Bayonne, présent dernièrement dans « Gernika », qui ouvre le bal.
Dans un jeu de lumières très étudié, il plante son espace de jeu pour son solo « Saio bat » en le matérialisant par des bandes blanches sur le sol.
Puis de son clavier couplé à son micro, il déclenche la note, les notes, de Patxi Amulet, qui vont le faire vibrer continuellement sur un mouvement répétitif, sur les lignes de vie, jusqu’à ce que la boucle de la chorégraphie de Mathieu Vivier, tiré du spectacle « Saioak », s’éteigne.
Il nous confie que la danse l’a cueilli depuis l’âge de six ans et que cela ne s’est jamais arrêté, tout comme la chorégraphie, qui s’accélère dans un tourbillon de folie égrenant les minutes, l’emporte jusqu’à l’épuisement, où dans une respiration intense il nous confie dans une finalité son âme de danseur.
Des pas sautillants des danses traditionnelles basques, aux mouvements vifs, marqués par le tempo de son clavier, il mêle ainsi avec justesse et passion dans la beauté du geste, du jeu de jambes, la tradition avec le contemporain, source d’un avenir prometteur.
C’est ensuite au tour de Graham Erhardt-Kotowitch de l’Opéra-Théâtre Eurométrople de Metz, qui nous avait impressionnés, lundi dernier dans son pas de deux avec Johanne Sauzade dans « Ephémère », de nous surprendre avec son solo « Corps de soi » chorégraphié par Gilles Schamber parti à la conquête de son autobiographie.
Sur la musique de John Tavener, « Prayer of the heart », au son d’un battement qui s’apparente à celui du cœur, il donne naissance à sa personnalité à la recherche de son corps, de l’étincelle qui lui donne vie.
Du sol, terre de sa naissance, il s’élève pour prendre possession de l’espace de son destin, dans la conscience de ses limites.
Les émotions jaillissent de ce corps tourmenté par le souvenir de ses premiers pas, par la présence de la voix captivante dans « Featuring » de Björk.
Dans un kyrie qui permet d’entrer dans la danse avec une touche de lyrisme assumée, de nous captiver par la beauté du geste, la grâce, l’amplitude du mouvement, il communique l’expression de l’élégance par la présence théâtralisée de la mise à nu de son intimité.
Un voyage dans le temps qui nous subjugue au plus haut point. Nous admirons, nous sommes hypnotisés par l’enchaînement de ses gestes précis, la pureté de son interprétation sans faille.
Jon Maya de la Compagnie Kukai Dantza, dans une chorégraphie, qu’il associe à Sharon Fridman, nous transporte avec son solo « Gauekoak » vers l’ascension de la plus grande montagne du Pays basque…
Accueilli par un faisceau de lumière intense transperçant un nuage du plus bel effet, un nuage qui se déplace lentement vers le public, le prenant ainsi partie prenante de ce solo, il nous dévoile méthodiquement les étapes de sa progression vers l’inconnu.
De sa mémoire d’enfant, il revisite frénétiquement ses pas dans l’espoir d’atteindre au plus vite le sommet. Ses claquements de doigts donnent le tempo et accompagnent ce voyage émotionnel qu’il partage avec nous sur la musique de Luis Miguel Cobo.
Ce voyage se poursuit sur la musique très rythmée d’Arkaitz Miner et prend dans ses mouvements rapides une dimension folklorique aux sonorités populaires connues et appréciées de tous, qui nous donnent à notre tour envie de danser.
Une dimension joyeuse pour une ascension frileuse nécessitant, dans une chorégraphie orchestrée, le port de vêtements supplémentaires, signe d’une révélation de ses sentiments les plus profonds qui le fragilisent.
Une intimité qui lève le masque sur sa lecture de la danse, pour laquelle il s’y consacre depuis son enfance.
Pour conclure cette scène partagée, c’est au tour de Franck Guiblin de la Compagnie Arenthan de nous présenter son solo « Home sweet home » complètement déjanté dans une connotation burlesque. Il en assure également la chorégraphie assisté de Nicolas Mayet.
Dans un environnement dépouillé, comme un lion en cage, sur un rythme allant crescendo, il tourne, il tourne, jusqu’à plus soif, dans son pré carré…qui se réduit de plus en plus jusqu’à la chute, l’asphyxie, à la recherche de la lumière : un huis clos des temps modernes effrayant, voire néfaste, sans visage, mis en musique par Romain Dubois et en lumière par Erwann Philippe.
Une vision imaginaire de la société qui mêle la danse à une forme de théâtre avec ses acteurs sortis d’un rêve éveillé aux articulations mécaniques.
Dans un brouillard lumineux à la densité extrême, notre personnage évolue masqué pour mieux supporter cet infernal enfermement à la musicalité assourdissante, naviguant dans un monde à la noirceur révélatrice d’un cauchemar, bien loin de son home sweet home…
Serions-nous dans un temps futur témoins d’un pouvoir totalitaire, à la brutalité animale, qui prendrait le contrôle de nos vies ? L’actualité dépasse la fiction…une science-fiction proche de la réalité…nous laissant tout de même le pouvoir de nous réveiller.
Une scène partagée qui nous enveloppe dans une émotion intense et nous fait réfléchir sur le pouvoir de l’expression théâtrale, de la danse. Une soirée où l’intime côtoie le fantastique dans l’expression de quatre danseurs à l’imaginaire remarquable.
« Scène partagée » au théâtre Le Colisée à Biarritz, le 23 mars, un évènement « Malandain Ballet Biarritz ».