Le Dindon

 

« Le Dindon » de Georges Feydeau dans une adaptation et une mise en scène d’Anthony Magnier au théâtre La Gare du Midi à Biarritz est une folie du maître, au sommet de son art, où les entrées et les sorties de scène ne se comptent plus.

 

De la vingtaine de rôles prévus par Georges Feydeau dans la distribution initiale de sa pièce, Anthony Magnier a réduit leur nombre à sept afin d’intensifier le rythme très soutenu de sa mise en scène et de son adaptation, ce qui en fait la clé de la réussite de son projet. En commençant par l’entrée tonitruante et affolée de Lucienne Valentin depuis la salle, suivie de très près par Pontagnac, fou de sa beauté : le ton est donné ! Les rires pointent le bout de leur nez…

Le propre des pièces de Feydeau (lui qui avait la phobie du « troisième acte », celui du dénouement) est de les jouer avec sincérité et humilité, sans pousser le trait, pour que cela fonctionne. Il faut s’en tenir à ses rouages bien dessinés, pensés et très bien huilés : le roi du vaudeville, l’horloger du théâtre où ses répliques, ses situations, déclenchent dans un rythme mécanique, crescendo, les rires. Il faut avoir du souffle pour courir ses marathons.

Son fond de commerce, bien connu, dans un froid objectif et un regard acéré sans compassion, est d’observer avec distance et recul la condition humaine : montrer « les hommes » tels qu’ils sont, sans fioritures, les mettre à nu.
A tel point que « Le Dindon » est une réplique parfaite de la vision de son couple. L’hôtel Terminus où il passa les dernières années de sa vie devient dans « Le Dindon » l’hôtel Ultimus. Un clin d’œil, clé de ce féroce vaudeville annonçant quelques années plus tard son chef d’œuvre : « La Dame de chez Maxim ».
Et comme le disait Jacques Charon, Georges Feydeau était l’homme le plus gai et à la fois le plus mélancolique de son époque.

Revenons à notre histoire du dindon, un homme suit une femme depuis plusieurs jours dans la rue, sans l’aborder, « jouet » de ses conquêtes maladives, aujourd’hui considéré comme du harcèlement, puni par la loi, jusqu’au moment où dans sa folie (celle de l’auteur), n’y tenant plus, il ose franchir le pas : entrer en contact !
Infidélité quand tu nous tiens, rien de plus original me direz-vous, si ce n’est qu’entre les griffes de Georges Feydeau, un simple fait divers devient le sujet d’une pièce aux multiples rebondissements, aux multiples quiproquos, qui traverseront la Manche et qui feront notre plus grand bonheur, celui de nous divertir du malheur d’autrui, comme nous rions d’une personne qui se prend les pieds dans le tapis.

Dans un décor avec un écrin à la « Huis clos », éclairé par les servantes de Stéphane Balny, avec des costumes de Mélisandre de Serres, dont le noir et blanc seront les caractéristiques de cette mise en scène, par moment animale, Anthony Magnier dirige avec minutie, ses comédiens d’une main de velours dans un gant de fer pour cuisiner amoureusement tout ce petit monde aux petits oignons. Un cocktail explosif où chacun y trouvera, dans la mesure du possible, sa vérité.

Chacun dans leur rôle, aux multiples facettes, personnages, les comédiens gagnent notre attention. Nous partageons leurs généreuses déconvenues avec appétit. Nous souhaitons les voir s’enfoncer pour mieux rebondir, nous surprendre par tant d’audace à vouloir reporter sur son voisin la sortie d’un labyrinthe interminable. Tout en nous posant la question : qui succombera le premier à la tentation ?

Un festival du rire, de tentations, mené tambour battant par Anthony Magnier dans le rôle titre de Pontagnac, aux accents d’une animalité embarrassante. Magali Genoud lui tient tête avec conviction dans le rôle de la femme bafouée en celui de Lucienne Valentin dont le mari Xavier Martel n’est pas en reste avec son incrédulité feinte. Rédillon, l’amoureux transi, joué tout en énergie par Laurent Paolini vaut son pesant d’or. Une touche d’humour très british vient délicieusement chatouiller nos oreilles avec Vanessa Koutseff dans le rôle de Maggy Soldignac, celle qui traversa la manche pour pimenter l’intrigue. Il ne manquait plus que Madame Pontagnac, jouée tout en chatte aux griffes acérées par Sandrine Moaligou, pour venir ajouter son grain de sel dans cette recette déjà bien assaisonnée.

Mon coup de cœur revient à l’espiègle Julien Renon, qui tient avec beaucoup de brio, dans ses jeux tout en couleurs à la gaité folle, les rôles des valets ainsi que celui d’un Solignac, drôle à souhait à la réplique rieuse. Il n’y a pas de seconds rôles chez Feydeau.

 

 

Vous l’aurez compris, une très agréable soirée en compagnie de cet indémodable Georges Feydeau, mis en valeur par les comédiens de la Compagnie Viva, en résidence à Versailles, qui sera également présente cet été au festival d’Avignon.

 

« Le Dindon », le 17 mars 2022, au théâtre La Gare du Midi à Biarritz, un évènement bien choisi par « Les Amis du théâtre de la côte basque ».
Prochaines dates : le 23 mars à Saint-Brévin-les-Pins, le 25 mars  à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, le 02 avril à Lissieu, du 05 au 10 avril à Auderghem en Belgique, le 20 mai à Agde, le 06 juin à Janville-en-Beauce et le 07 juin à Le Rosey en Suisse.

Sans oublier leur retour à Biarritz – La Gare du Midi, le 19 mai pour « L’Ecole des femmes », un autre évènement « Les Amis du théâtre de la côte basque ».

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