« Le Complexe de Dieu » d’Antony Puiraveaud au théâtre Le Funambule Montmartre dans une mise en scène de Jean-Luc Voyeux interprétée par les comédiens de La Compagnie 172 est le témoignage d’un homme face à son destin.
Après avoir apprécié sa précédente pièce « Délivrés de famille » (cliquez) une comédie sociétale posant la question cruciale de la relation parents-enfants, l’auteur nous propose aujourd’hui le regard d’un homme sur son passé, qu’il affronte jusqu’à l’action ultime qui lui permettra de s’en délivrer, une histoire vécue. Une histoire de famille vue sous un autre angle.
La première et la dernière scène forment l’enveloppe de cette histoire.
Une mère adultère conçoit un enfant, un fils, Matthias, avec le père François, qui grandira le tourment de cette relation, les obligeant à partir sur les routes.
Un enfant dont le père l’aura élevé comme son fils…tout en étant éloigné…un fils qui grandira dans le conflit de ce moment d’égarement.
Matthias apparaît comme un jeune homme aux pulsions colériques, dévorant la vie par tous les bouts. Une soif de liberté nécessaire à sa survie qu’il vit dans son homosexualité.
Matthias à l’énergie débordante, rendue parfaitement par Olivier Troyon (que j’avais découvert dans Délivrés de famille) se présente sur les conseils de son amie Céline, son ex-colocataire, à une audition pour le rôle de Tartuffe.
Une énergie que devra canaliser le metteur en scène impressionné dans un premier temps par sa prestation.
Mais très vite lors des répétitions, le passé refait surface, paralysant le jeu de Matthias dans sa recherche du personnage.
La scène qu’il répète avec Céline (Tartuffe – Acte III scène 3), jouée tout en naturel, en sincérité par Léonie Duedal, tourne très vite au fiasco. Découvrant son passé d’adolescent abusé par un prêtre, le père Damien, elle lui conseille de se faire aider. Une requête qu’il envoie paître, pensant son travail de résilience effectué.
Une scène où il doit séduire Elvire, une scène que le metteur en scène, joué passionnément par Jean-Marc Coudert, voit comme un viol, le contact physique donnant tout le sens à sa mise en scène.
Cela réveille en Matthias les viols qu’il a lui-même subis entre ses 12 et 14 ans par le père Damien, un ami de la famille, interprété également tout en machiavélisme par Jean-Marc Coudert. Le jeu impuissant de Matthias l’oblige à confronter son passé qu’il pensait assumé.
Elvire : « La déclaration est tout à fait galante : mais elle est, à vrai dire, un peu surprenante.
Vous devriez, ce me semble, armer mieux votre sein, et raisonner un peu sur un pareil dessein. Un dévot comme vous, et que partout on nomme…
Tartuffe : Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme, et lorsqu’on vient à voir vos célestes appas, un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas. »
Cette scène travaillée maintes fois pendant la pièce donne à elle seule tout le sens du conflit qui ronge de l’intérieur Matthias. Un Tartuffe qui fait croire à Elvire qu’en l’aimant, il aime l’œuvre parfaite de Dieu. Exactement comme le père Damien l’a fait croire à Matthias pendant ces deux années où il a été violé, légitimant ses actes. C’est tout le problème que rencontre aujourd’hui l’église avec entre autres ses prêtres pédophiles.
Des alexandrins qui s’interposent dans un récit poignant donnant une couleur salvatrice à cette répugnante histoire, dont la scène de la communion qui nous glace le sang.
Un sujet d’actualité qui n’a pas fini de parler de lui.
Pour donner consistance, de la vie, à ce récit l’auteur a choisi de nous le faire vivre en voyageant dans le temps avec des flash-back sur l’enfance de Matthias permettant de mieux appréhender le parcours de son travail de résilience. Un voyage permettant d’apprécier le jeu délicat, tout en nuances, de la mère, joué par Béatrice Vincent.
La mise en scène éclairée de Jean-Luc Voyeux (présent dans Délivrés de famille) assisté de Sylvain Causse, dans une scénographie minimaliste et les jeux de lumières de Florian Guerbe, permet de suivre la dramaturgie sans perdre le fil de l’histoire. Les costumes de Rose Muel appuient ce travail.
Une Eglise déconnectée de la réalité qui commence à prendre conscience des dommages causés, une pièce qui met parfaitement en lumière les traumatismes subis par ses ouailles, une pièce avec une fin qui donne espoir en l’Homme, dont Molière aura le dernier mot.
« Le Complexe de Dieu » au théâtre Le Funambule Montmartre, les jeudis et vendredis à 19h ou 21h, jusqu’au 25 février.