« Amour Amère » de Neil Labute dans une version française de Dominique Piat à la Comédie Bastille mise en scène et interprétée par Jean-Pierre Bouvier est une conjugaison sous toutes ses formes du verbe Aimer.
La Comédie Bastille à la programmation éclectique, de qualité, accueille en son sein « Amour Amère » un seul en scène engendré passionnément par Jean-Pierre Bouvier.
Une Histoire d’Amour avec un grand H et un grand A.
Une histoire qui peut faire remonter en chacun de nous des sentiments enfouis, des sentiments de deuil. Un deuil que chacun interprète, vit, met en œuvre, dans la possibilité de ses moyens.
Une histoire portée magistralement par Jean-Pierre Bouvier que j’avais apprécié dans « Un Picasso » de Jeffrey Hatcher (cliquez) et qui à chaque fois que je le vois fait remonter en moi cette image de lui aux pieds de Michèle Morgan dans Chéri de Colette.
Il y a toujours en lui cette lumière intense dans ses yeux, cette passion du verbe, cette passion du jeu, cet amour du public.
Aujourd’hui il se glisse dans la peau d’Edouard Carr, un homme qui vient de perdre son épouse Marie. Marie-Jo quand il veut être plus tendre avec elle.
On le retrouve dans l’antichambre d’un funérarium, fuyant les invités venus se recueillir devant la dépouille de sa bien-aimée pour présenter leurs condoléances.
Il s’adresse au public comme s’il s’adressait à sa mémoire, ses rêves ou ses cauchemars, allez savoir, pour mieux se dédouaner du mal qui le ronge, interpellant notre conscience.
Une antichambre dépouillée, dans un décor de Gérald Galiano, où seuls deux blocs de marbre noir viennent renforcer la douleur qu’il traverse. Quelques pétales de roses viendront donner un peu de chaleur, sous des lumières choisies de Joffrey Kles et Patricia Garcia, à cette ambiance mortuaire.
Avec les âpretés du choc de la perte d’un être passionnément aimé, il nous dépeint sa vie. Abandonné par ses parents, orphelin à ses yeux, à l’enfance bousculée de foyer en foyer, il n’a eu de cesse que de rechercher sa mère. Il rencontre à 25 ans « le » grand amour avec une femme plus âgée que lui. Cette différence d’âge lui permettra sciemment de solidifier davantage sa passion amoureuse.
Des détails de sa vie d’homme, de couple, remontent petit à petit, qu’ils soient dans la légèreté, l’insouciance, la joie, la tendresse, ou la colère, l’amertume. Somme toute une histoire banale d’un homme et d’une femme qui se sont aimés éperdument.
Il accepte ses pensées plus ou moins négatives, intercalées par le présent qu’il vit avec les personnes regroupées dans la pièce voisine. Elles font remonter l’absurdité de la vie contrebalancée par le bonheur de la vie de couple, lui qui s’est senti si seul. Il se doit de faire face aux injustices de la vie. Des injustices qu’il manifeste par sa nervosité de la prise répétitive de cigarettes qu’il consume aveuglément, marquées par cette musique de Michel Winogradoff qui accentue l’effet négatif.
Les secrets de ce couple fondent comme neige au soleil au fur et à mesure de la progression de l’intrigue. Des révélations qui nous surprennent, nous interpellent et nous font réfléchir au sens que l’on veut donner à sa vie.
Et puis qui sommes-nous pour juger son parcours qui pourrait bien en laisser quelque uns sur le bas-côté de la route de la vie ?
Une narration d’un « amour amère », d’un veuf, faite dans un langage de tous les jours, avec des mots simples, ne cherchant pas l’effet de manche, mais au contraire pour nous toucher au plus profond de notre réflexion.
Une narration coupée par des silences aussi importants que les paroles que Jean-Pierre Bouvier met expressément en valeur dans son jeu affûté, sa mise en scène qui s’efface devant cette histoire incroyable, au rebondissement que l’on peut qualifier de fantastique, assisté délicatement par Anne Plantey.
Jean-Pierre Bouvier capte son auditoire, dans une expression à la fois émouvante et effervescente comme un comprimé qui se dissout dans l’eau de la vie. Un jeu qui lui a valu à Avignon le prix du meilleur comédien en 2021.
« Amour Amère » à la Comédie Bastille, les lundis et mardis à 21h.