Transmission

 

« Transmission » une pièce de Bill C. Davis dans une nouvelle traduction de Davy Sardou au théâtre Hébertot et dans une mise en scène de Steve Suissa est une vision éclairée de la relation entre l’homme d’église, passé et présent, et son paroissien.

 

afficheDans cette période troublée que vit actuellement l’église catholique romaine, remonter cette pièce est un choix judicieux. Mais en ouvrant aussi son esprit, cette pièce parle à toutes les religions avec leurs discours conservateurs qui enferment l’esprit dans la vision de dogmes écrits par les hommes, qui les empêchent de les autoriser à émettre une autre opinion, une autre vision du monde dans lequel ils vivent actuellement.
Chacun en tirera en fonction de sa foi, de sa croyance, un enseignement mais ce qui est certain c’est que cette pièce ne laisse pas indifférent et ouvre la porte de la réflexion.

« Mass Appeal » puis « L’affrontement » et aujourd’hui « Transmission » est la pièce écrite et créée en 1980 à Broadway qui lança la notoriété de Bill C. Davis, un dramaturge et acteur américain d’origine italienne, irlandaise (cela rappelle le prêtre…) et russo-juive.
Il poursuivit sa scolarité dans des écoles catholiques et y trouva tout naturellement le terreau de son histoire…

Je n’avais pas vu la première version de « L’affrontement » dans l’adaptation de Jean et Dominique Piat en 1996, mais celle avec Francis Huster et Davy Sardou le 24 janvier 2014 au Rive gauche. Il m’en restait un très bon souvenir et je voulais voir cette nouvelle traduction de Davy Sardou y apportant une touche de valeurs actuelles ; et qui est remplacé dans son rôle du jeune séminariste par Valentin de Carbonnières, que j’avais beaucoup apprécié dans « 7 morts sur ordonnance » (Cliquez) dans ce même théâtre qui le couronna d’un Molière.
Un Davy Sardou qui « maîtrise » la pensée, l’écriture de Bill C. Davis, lui qui interpréta également une autre pièce de l’auteur : « Les vœux du cœur » au théâtre La Bruyère. Une continuité dans la vie de l’église avec deux jeunes homosexuels qui souhaitent se marier.

Une nouvelle traduction qui permet d’assimiler avec beaucoup d’humour la parole évangélique rétrograde : une parole écrite par les hommes pour les hommes pour transmettre une foi qui a bien du mal à trouver sa voix, sa voie.
Un titre en opposition avec « L’affrontement » qui la fit connaître du grand public.PhotoLot Transmission15

Car cette transmission (d’où le titre) s’opère dans un affrontement des plus féroces où la vérité doit éclater en toute bienveillance, en tout respect via la parole du fougueux séminariste.

Les deux hommes qui s’affrontent sur scène, dans le bureau du prêtre et dans son église sont diamétralement opposés dans leur application de la foi.
L’un Tim Farley, vieux, prêtre, passif, d’origine irlandaise, plus enclin à satisfaire ses ouailles qui le lui rendent bien en l’aspergeant de cadeaux comme avec son vieux bourdon qu’il affectionne particulièrement et l’autre Mark Dolson, jeune, séminariste, hyper actif, qui vient du trottoir où la prostitution fut son lot quotidien mais qui trouva la lumière du pardon.

Deux âmes qui ne sont pas loin du purgatoire et qui doivent cohabiter pour trouver leur chemin rédempteur.
La foi qui les anime, les rapproche comme les éloigne dans ce face-à-face où aucun sujet tabou n’est épargné.
Il est bien loin le temps où l’on se posait la question s’il fallait mâcher l’hostie et l’avaler ou la laisser fondre sur la langue.
Des sujets brûlants d’actualité et qui résonnent dans nos oreilles avec les scandales qui firent et font la une des médias.
Seule la pédophilie est exempte de cette histoire, pas encore d’actualité au temps de sa création bien qu’aux USA elle fit comme partout dans le monde un sacré ravage.

PhotoLot Transmission08Un combat à fleuret moucheté opposera entre autres ces deux hommes sur le terrain du sacerdoce refusé aux femmes.
D’entrée de jeu, alors que le vieux Tim Farley évoque dans son sermon la place de la femme dans l’église, le jeune séminariste se permettra avec sa voix de stentor, nette, précise, théâtrale mais sincère, de l’interrompre pour affirmer que les femmes seraient bien meilleures que les hommes dans la prêtrise.

Mais aussi, avec toujours au cœur du débat, la femme dans le mariage des prêtres. Un débat houleux car cette interdiction n’est pas un dogme, on peut donc légitimement vouloir l’accepter comme ce fut le cas avant le XIIe siècle…mais que serait devenue la richesse de l’église sans cette interdiction ?
Qui dit mariage de nos jours, dit aussi mariage homosexuel, mais certainement pas dans l’église catholique.
Ou tout simplement l’homosexualité, un sujet digne de Satan, absolument pas acceptée dans l’église : deux camarades séminaristes de Mark Dolson, qu’il tentera de défendre, en feront les frais…à qui le tour…
Ce jeune séminariste, devenu diacre, la dernière marche avant de devenir prêtre, est passé par cette case. Il a goûté au plaisir de la chair avec la femme mais aussi avec l’homme. Une confession, une vérité qui lui vaudra son châtiment. A quoi cela sert-il d’être honnête, sincère ? Ne vaut-il pas mieux, comme le suggère le vieux prêtre, mentir pour vivre sa foi dans la tranquillité ?
En tous cas une belle hypocrisie de la part de tous ces « chefs », avec cette hiérarchie plus que pesante, qui veulent sauver leur église mais qui par derrière satisfont leurs besoins. A ce sujet, je vous conseille le témoignage édifiant du prêtre Krzysztof Charamsa dans son livre aux éditions La découverte : « La première pierre » (Moi, prêtre gay, face à l’hypocrisie de l’église).

Des sujets de fond mais qui sont abordés avec la légèreté qui sied à une œuvre théâtrale. Davy Sardou l’a bien compris et nous sommes pris par moment de fous rires libérateurs de toute la tension dans cette joute verbale qui règne sur le plateau, notamment avec le prêche du séminariste qui essaye de sauver sa peau ou encore les envolées alcoolisées du vieux prêtre dans son imitation de l’évêque, celui qui distribue les bons points…ou la punition.
Un évêque qui fait la pluie et le beau temps dans son église, et c’est là que le bas blesse, car l’église ne lui appartient pas, elle est celle de tous ses fidèles qui communient dans la foi.

PhotoLot Transmission13Steve Suissa, assisté de Manon Elezaar, est à l’aise comme un poisson dans l’eau pour mettre en scène, pour la deuxième fois, cette pièce, lui qui produit le dimanche matin sur France2 l’émission religieuse consacrée au judaïsme.
Sa mise en scène joue habilement avec les dialogues percutants des deux très fortes personnalités que sont Francis Huster (récemment mis en scène dans Bronx Cliquez), le patriarche et Valentin de Carbonnières, le jeune premier…la roue tourne !
Il a formé un duo à la fois féroce et attendrissant, qui yeux dans les yeux tient ses positions jusqu’à l’éveil des consciences.

Dans un décor à doubles facettes d’Emmanuelle Favre, éclairé subtilement par Jacques Rouveyrollis (le complice de toujours), où la croix tient la place essentielle (une croix qui vacille par inadvertance à la fin…est-ce un signe pour l’église ?), même aux côtés des superbes livres de la bibliothèque, nos deux comédiens habillés par Cécile Magnan sont tels deux boxeurs sur un ring où tous les coups sont permis, aux jeux de jambes finement orchestrés par Steve Suissa.
A noter que la magnifique étole que porte Francis Huster est de couleur violette, associée à des dorures. La couleur qui est normalement utilisée pendant la période de l’Avent et du Carême. La couleur de la pénitence, de l’attente…ceci explique cela.
Celle du diacre est aussi très bien portée, au sens propre comme au sens figuré, par Valentin de Carbonnières.

L’émotion se conjugue avec le rire dans une écoute remarquable.

PhotoLot Transmissionr56Francis Huster est Tim Farley, ce vieux prêtre irlandais, porté sur l’alcool. Il a d’ailleurs l’alcool extrêmement joyeux et est impayable dans la scène où il est à la recherche de son verre. Il joue également du téléphone comme personne accompagné de son jeu de jambes bien particulier et dans ses ruptures qui font beaucoup rire.

Valentin de Carbonnières est Mark Dolson, ce jeune séminariste à la fois fougueux, impétueux, à la jeunesse flamboyante qui ne mâche pas ses mots. Il a encore beaucoup à apprendre dans la diplomatie mais ne fait pas de compromis avec sa foi. On a envie de le sauver des griffes de cette église qui ne le comprend pas. Mais quand il sourit, c’est un soleil qui envahit cette église aux murs tristes et illumine nos âmes.

Leur duo est impressionnant de vérité, de conviction, de justesse, qu’il faut absolument aller vivre en communion avec eux.

 

« Transmission » au théâtre Hébertot, du mardi au samedi à 21h, matinée le dimanche à 15h30, jusqu’au 31 mai.

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