« Une histoire d’amour » de et mise en scène par Alexis Michalik à La Scala, est une version michalikienne des rapports amoureux sous ses diverses formes.
Alexis Michalik, l’homme aux sept Molières, c’est tout d’abord un style et une écriture qui lui permettent d’être dans les records de présence dans les théâtres parisiens.
Ses quatre précédentes pièces sont toujours à l’affiche, notamment avec sa première, « Le porteur d’histoire », qui vit le jour en intégralité, en juillet 2011, au festival off d’Avignon.
Mais aujourd’hui, c’est avec un nouveau style, une nouvelle écriture, un nouveau vocabulaire, comme celui de son premier roman « Loin » qu’Alexis Michalik nous présente sa dernière histoire.
Une belle histoire d’amour jouée dans un plan séquence comme au cinéma, loin de la construction de ses histoires avec les flash-back à répétition.
Un vocabulaire cru, qui se veut contemporain, et qui je dois l’avouer n’emporte pas mes suffrages et qui me fait perdre de l’émotion.
Une histoire d’amour : mais qu’est-ce que l’amour ?
Singulier ou pluriel ? Le sexe a-t-il son importance ?
Comment savoir quand on est amoureux ? Et à quel âge ?
Doit-on associer à l’amour son chagrin ? En fait-il partie pour exister, se construire ?
Doit-on être malheureux, doit-on passer par la souffrance pour savoir aimer, pour reconnaître l’amour ?
Et quand la maladie ou le destin viennent se greffer dans l’histoire, pouvons-nous encore espérer, aimer ?
Autant d’interrogations qu’Alexis Michalik développe dans son histoire, certes à tiroirs mais jouée dans une inspiration linéaire.
Ce qui la rend beaucoup plus facile à suivre, et qui permet de se concentrer sur le jeu et la personnalité des comédiens.
« Et pourtant » la chanson de Charles Aznavour ouvre les débats, ouvre l’Histoire…
La couleur est annoncée, « Et pourtant, pourtant, je n’aime que toi » oui mais qui ?
Soyez attentifs, écoutez bien les couplets de la chanson, ils résument ce que vous allez suivre, vivre, dans cette belle histoire d’amour.
Alexis Michalik a le secret pour emmener les spectateurs dans son univers : la salle répond présente et les rires fusent même dans les situations dramatiques, à tel point qu’il est difficile par moment d’entendre les répliques.
Il a le sens de la répartie, du bon mot, de la formule, que la jeune adolescente utilise à bon escient.
« Une histoire d’amour » conjuguée au pluriel nous fait rencontrer Katia qui tombe amoureuse de Justine. L’une est lesbienne, l’autre est hétéro mais cupidon n’a pas dit son dernier mot.
De cette histoire va naître, via une insémination artificielle pour Katia, un joli bébé au doux nom de Jeanne.
Depuis ces instants de bonheur, douze années se sont écoulées, et Katia prédisposée pour le cancer, voit ce dernier récidiver et la conduire vers l’inexorable.
Elle doit absolument prévoir l’avenir et confier sa fille à une personne de confiance.
Elle a beau chercher dans son entourage, elle ne voit que son frère William (Shakespeare serait-il passé par là…), un écrivain cynique à la renommée établie, mais cruellement au stade de la page blanche, qui lui aussi n’a pas été épargné par la vie, une ritournelle familiale aux multiples blessures.
Un frère qui vit dans un monde parallèle avec ses démons et ses anges, et dont l’abus d’alcool et de la cigarette le transportent dans les nuages de l’insouciance : un ciel bien sombre à la lumière de sa traversée du désert.
Un frère qui a du mal à cicatriser de ses blessures antérieures, à faire confiance, à aimer tout simplement mais qui renaîtra en présence de sa filleule.
Les plus belles scènes de cette histoire à mon sens, sont celles de leur « découverte » dans ce salon qui a vu passer tant d’épreuves.
Cinq années séparent, depuis leur dernière rencontre, Katia et William, et les retrouvailles ne vont pas de soi : il faut se rendre à l’évidence, il faut qu’il devienne le tuteur légal afin que Jeanne ne se voit pas confiée à l’assistance publique.
Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, tel pourrait-être leur credo mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille et elle dessine ses creux et ses vagues comme bon lui semble : ce que l’on pourrait appeler le destin pour ceux qui y croient.
Alexis Michalik, assisté d’Ysmahane Yaqini, a mis en scène son histoire avec une fluidité déconcertante, intelligente, les changements de lieux, de décors, de costumes, d’accessoires, de personnages se font à une vitesse qui ne laisse pas de place à l’improvisation.
Tout est calculé, tout est millimétré pour donner une vie intense au développement de l’intrigue.
Une action située, définie dans un rectangle blanc comme pour celle d’Intra Muros.
Il s’est entouré de l’incontournable Juliette Azzopardi pour les décors, d’Arnaud Jung pour les lumières et Marion Rebmann pour les costumes sans oublier Mathias Delfau qui a réalisé de superbes vidéos symbolisant les différents lieux de l’action ainsi que le temps qui passe.
Une belle fraternité, une belle cohésion pour cette troupe qui se lance à cœur perdu afin de vivre intensément leurs histoires d’amour.
Juliette Delacroix est Katia et Marie-Camille Soyer est Justine. Elles forment avec un beau naturel le couple qui va déclencher toute cette histoire d’amour.
Alexis Michalik joue le frère William, l’ours mal léché qui va se laisser attendrir, qui va redécouvrir qu’il a un cœur qui bat dans sa poitrine. Un plaisir non dissimulé de le retrouver sur scène et avec ce soir Violette Guillon dans le rôle de Jeanne, ils forment un duo très touchant de sincérité. Elle a l’innocence de la jeunesse tout en ayant la maîtrise de son jeu : impressionnant.
L’électron libre, aux multiples rôles, dont celui de Claire, est joué par Pauline Bresson. Une présence tourbillonnante, tout en grâce, qui donne de la légèreté à cette histoire d’amour.
Une histoire d’amour, certes belle, poétique, mais qui en fin de compte ne m’aura pas enthousiasmé comme ce fut le cas avec ses autres pièces : mon classement ne changera pas : « Le porteur d’histoire » restant ma préférée.
« Une histoire d’amour » à La Scala, du mardi au samedi à 21h, matinée le dimanche à 15h, attention consulter le calendrier pour les relâches, jusqu’au 28 mars.