« En ce temps-là, l’amour » de Gilles Ségal dans une mise en scène de Christophe Gand au théâtre des Mathurins est un voyage dans le temps meurtri par la folie des hommes, par la folie d’un homme si on peut lui autoriser ce sens, cette définition.
Avant tout c’est la curiosité de voir, d’entendre, d’écouter, David Brécourt sur scène dans un registre que je ne lui connaissais pas, qui m’a fait pousser la porte du théâtre des Mathurins pour découvrir cette histoire apportant une nouvelle pierre à la construction de ce mur contre l’oubli de la barbarie nazie.
Un seul en scène de plus me direz-vous, oui mais un seul en scène drôlement efficace, qu’il faut avoir vu pour ne pas oublier.
« Z » un homme qui vient d’être grand-père se sent profondément investi pour transmettre à son fils une part enfouie de son passé, un témoignage nécessaire à sa condition d’homme.
Depuis ce qui ressemble à son atelier d’horloger, où de multiples exemplaires d’horloges, de réveils viennent encombrer la pièce, avec le son du tic-tac permanent qui a cadencé notre attente avant le lever du rideau, « Z » va et vient, cherchant les bons mots, les bonnes phrases pour les enregistrer sur une bande magnétique, témoignage qu’il veut expédier à son fils demeurant aux Etats-Unis, terre symbole de la liberté.
Avant de s’asseoir pour enregistrer sa confession, tout en regardant les photos de son petit-fils, il ne peut s’empêcher de répéter « En ce temps-là, l’amour était de chasser ses enfants ».
Comment trouver les mots et le ton justes pour ne pas apporter de l’horreur à l’horreur, ne pas tomber dans le pathos pour ce récit qui ne se veut qu’une retranscription de ce qu’il a vécu. Un voyage dans ce train de la mort se dirigeant vers la Pologne, terre de tant de souffrances, dont il a fort heureusement survécu.
Dieu, quelque soit le nom qu’on lui donne aurait créé le monde en six jours, puis se serait reposé le septième.
Sept jours, c’est le temps que le convoi a mis pour atteindre sa destination du camp d’extermination d’Auschwitz.
Sept jours pendant lesquels un père va faire vivre à son fils de douze ans une histoire extraordinaire. Sept jours pendant lesquels ils vont vivre unis comme les cinq doigts de la main, faisant fi de leur entourage ; au point d’agacer « Z » qui a du mal à comprendre cet isolement.
Un père qui préserve son fils, dans une bulle poétique, de l’inexorable.
Il faut à tout prix préserver cet enfant, lui faire oublier le temps qui passe, lui éviter de penser pour le soustraire à l’effroyable vérité.
Une vérité de douleur, de fin, qu’un père digne de ce nom ne peut accepter de partager avec sa chair.
Alors pourquoi pas ne pas parler de l’école, des devoirs, du français, des mathématiques, de Spinoza !
Jouer avec la sonorité des mots pour en extraire leur essence, leurs joies.
Y joindre la musique de Mozart ou encore celle de Bach dont la langue doit passer outre la folie des hommes.
En quelque sorte un apprentissage accéléré de la vie avec en point d’orgue un mariage avec la belle jeune fille qui l’accompagne dans ce wagon où la mort est omniprésente ravagée par ses odeurs insupportables.
Un défi contre le temps, contre la mort, contre l’absurdité d’un homme que ce père veut gagner : sourire, rire à la vie le temps d’un voyage.
Mais comment en sortir vainqueur, comment soustraire son enfant des griffes des bourreaux ?
Son Dieu, sa foi a la réponse, certes pas des plus attendues, mais celle de la délivrance : le septième jour étant celui du repos, dans ce cas celui du repos éternel.
Dans un décor évocateur du discret et talentueux Nils Zachariasen, baigné par les lumières choisies de Denis Koransky, Christophe Gand a mis en scène efficacement David Brécourt dans un tourbillon de la mémoire où se bousculent tant d’images de ce chaos qu’il ne peut oublier.
La musique prenante de Raphaël Sanchez accompagne les jours qui passent et ses tic-tacs qui rythment le récit.
David Brécourt a gagné son pari, celui de nous faire oublier ses rôles comiques de la scène où il excelle. Une belle facette de ce comédien qu’il faut découvrir le temps d’une très belle histoire, d’une ode à la mémoire.
« En ce temps-là, l’amour » au théâtre des Mathurins, du mercredi au samedi à 21h, matinée le dimanche à 16h30.