« Huis clos » de Jean-Paul Sartre par la Compagnie Poqueline au Laurette théâtre dans une mise en scène de Raphaël Pelissou est une variation angoissante de cet enfer qui est peut-être le nôtre…
Cette pièce depuis sa création en 1944 au théâtre du Vieux Colombier, n’a pas fini de faire les beaux jours des comédiennes et comédiens qui se délectent à prononcer les paroles de Jean-Paul Sartre.
Un combat de boxe où les coups bas sont légion entre les trois protagonistes encadrés par un garçon d’étage au flegme énigmatique.
Un homme et deux femmes qui ne se connaissent pas, qui ne partagent pas les mêmes valeurs mais qui vont devoir faire un travail d’introspection afin de comprendre leur détention dans un espace clos sans fenêtre, porte ou presque d’où son titre.
Chacun pense se connaître, se juger, mais le regard des autres peut apporter des éclairages nouveaux sur sa condition, sa personne, au risque de se rendre dépendant de leurs jugements ; ce qui nous amène à la conclusion fatidique : « l’enfer c’est les autres ».
Ils doivent faire ce travail avec minutie pour comprendre réellement le motif de leur arrivée dans cette pièce aux allures de l’enfer où trône un bronze de Barbedienne et une sonnette qui pourrait être un signe, un symbole de liberté.
Avec l’aide de chacun, ils vont fouiller au plus profond de leur être et se dévoiler, quitte à perdre de leur noblesse d’âme.
Dans une pièce où la chaleur règne, où dormir n’a plus aucune utilité, comme d’ailleurs se brosser les dents, ils vont devoir cohabiter, dialoguer, et faire confiance au regard de l’autre.
Garcin, journaliste de son état ouvre les débats ; à son arrivée dans cette pièce surchauffée, où la mort l’a conduit, il s’étonne de ne pas être châtié physiquement : où sont les instruments de torture en réponse à ses méfaits ?
L’enfer, tel qu’il se le représentait, ne correspond pas à la réalité, mais au fait de quel enfer parle-t-il ?
La deuxième postulante à cet univers est une femme prénommée Inès : son arrivée est troublante ; consciente de sa vie elle en appelle au bourreau, mais quelle déception quand elle apprend que Garcin n’est pas cette personne.
L’enfer lui fait peur et encore plus la souffrance : comment supportera-t-elle cette promiscuité ?
Puis c’est l’arrivée de cette bourgeoise superficielle mais riche, Estelle, plus préoccupée par son apparence et la couleur des canapés qui ne se marient pas avec ses vêtements, que par l’intérêt qu’elle devrait porter à ses nouveaux compagnons de vie, une vie à partager pour l’éternité.
Cet enfer, ils le méritent, ils sont tous les trois coupables : oui mais de quoi ?
Le quatrième personnage, le garçon d’étage, sera personnalisé simplement par une voix aux intonations fantaisistes, apportant un peu plus de chaleur dans ce brasier, celle d’Albert Sezikeye.
Raphaël Pelissou par une mise en valeur du texte, a mis en scène cette pièce intelligemment dans un lieu intimiste, propice au rapprochement, à l’écoute, à la vision de cette terrible épreuve d’introspection.
Ses lumières tour à tour rouge, blanche ou verte symbolisent ce chemin de lecture de leurs vies, tout comme son bouton de sonnette à la sonorité déclenchant une descente rapide à la cave pour se mettre à l’abri.
La musique de Thomas Déborde aux accents métalliques contribue à cette angoissante vision de l’enfer.
Un chemin pavé d’embûches que nos trois comédiens ont relevé avec panache.
Jean-Marc Dethorey dans le rôle de Garcin, Betty Pelissou dans le rôle d’Inès (ma préférée) et Emily Berneau dans le rôle d’Estelle sont complémentaires et justes dans leurs jeux. Leurs expressions, leurs émotions mettent en valeur le texte et l’accent sur des propositions de la mise en scène. Ils nous offrent tout en nous captivant une vision de l’enfer tout à fait étonnante.
Une pièce, un texte qui ne vieillit pas et qui nous conduit, nous qui sommes encore vivants, à nous poser la question : quel est notre enfer ?
« Huis clos » au Laurette théâtre, les mardis, vendredis et samedis à 19h30.