« Gardiennes » de Fanny Cabon au studio du Gymnase Marie Bell dans une mise en scène de Bruno de Saint Riquier est un réquisitoire sur l’absurdité du petit pouvoir de l’homme sur la Femme.
Le poids des mots, le choc des situations !
Fanny Cabon avec une certaine délicatesse a choisi des mots tendres, cruels, cinglants, imagés, pour nous dévoiler le quotidien de ces femmes qui ont traversé le 20ème siècle et qui vivent d’une génération sur l’autre les mêmes peurs de la grossesse au lieu de la vivre dans la joie de donner la vie.
La très belle affiche de la pièce résume à elle seule ce qu’ont vécu toutes ces générations de femmes sous l’emprise de l’homme, ce qui les touche dans le plus profond de leur intimité.
Un fil de cette pelote de laine que l’auteure déroule sous nos yeux dans une lecture crue de leur univers où ces quelques gouttes de sang ont marqué à jamais leur chair.
Dans un paradoxe effrayant, l’homme est à la fois l’heureux géniteur, l’amoureux, le mari, le compagnon et le bourreau.
Dans cette évocation, nous traversons toute une lignée de femmes de 1920 à nos jours.
Des témoignages poignants de cette lignée que nous pourrions avoir entendus consciemment ou inconsciemment de la bouche de nos grand-mères, mères, tantes, cousines…de ces Gardiennes qui ont doit le dire, l’affirmer, le marteler, sont les seules à pouvoir disposer de leurs corps.
Car qui mieux que les femmes peuvent parler de ces grossesses qu’elles ont vécues avec amour ou avec angoisse.
Beaucoup de ces témoignages que l’auteure a entendus dans ses veillées familiales, au-delà du couple, ont pour objet l’avortement mais aussi les fausses couches.
Un avortement réalisé par ces faiseuses d’anges qui bien souvent débouchait certes sur la mort de l’embryon mais aussi malheureusement sur la mort de la mère, de la femme.
Des avortements clandestins faits dans des conditions précaires pour celles qui n’avaient pas les moyens, autant dire la majorité, de se rendre par exemple en Angleterre ou en Suisse.
Des avortements qui malgré la loi de Simone Veil continuaient à provoquer des malheurs dans les familles. L’homme n’ayant toujours pas compris que la femme est seule capable de pouvoir disposer de son corps, à l’image de ces médecins qui malgré la loi mentent pour asseoir leur pouvoir.
L’homme pense à son plaisir et ne peut concevoir des moyens de contraception, comme par exemple le préservatif ou encore le retrait, pour éviter les angoisses que ces femmes avaient ou ont lors des rapports, pour remplir soi-disant leur devoir conjugal.
Des témoignages des ces femmes, des fragments de vie vécus et enfouis dans la culpabilité, la douleur, dans leurs ventres, qui voient le jour sur scène avec le jeu lumineux et sincère de Fanny Cabon. Des femmes qui malgré ces épreuves gardent le sourire, la joie d’être mères.
Dans ce seul en scène, où la poésie, l’humour et la tendresse ne font pas défaut, elle interprète tour à tour cette dizaine de femmes qui ont pour point commun le lien de sang. Ce sang qui coule ou a trop coulé pour rester en vie.
Elle nous dévoile leurs intimités à bien des égards écorchées, le chiffre effrayant des victimes de ces avortements ratés : une femme meurt toutes les neuf minutes dans le monde, à ajouter à celles qui meurent sous les coups de leurs maris, leurs compagnons.
Mais ne désespérons pas, l’homme peut-être aussi bon, la preuve Fanny Cabon a fait confiance à Bruno de Saint Riquier pour la mettre en scène.
Au fil des générations bercées par leur propre musique dans une ambiance de Pierre Lardenois, sur un plateau où les accessoires du quotidien de ces femmes viennent ponctuer la mise en scène, il a réussi dans la noirceur de ces tableaux à nous transmettre non seulement les paroles de ces femmes, leurs mots tricotés en famille, sans les appuyer plus que de raison, mais aussi à mettre en point d’orgue une ode à l’Amour, à la Vie.
Certes la société évolue, la nouvelle génération est plus à l’écoute du désir de la femme mais malheureusement il y a toujours des personnes, et il faut bien le dire en majorité des hommes, qui savent ce qui est bien pour le corps de la femme…
Un spectacle élu meilleur « Seul en scène » au Off du festival d’Avignon 2018, qui devrait être diffusé à nos chères têtes blondes dès le plus jeune âge.
« Gardiennes » au studio du Gymnase Marie Bell, les jeudis et vendredis à 20h30.