« En garde à vue » adaptée par Francis Lombrail et Frédéric Bouchet d’après le roman de John Wainwright dans une mise en scène de Charles Tordjman au théâtre Hébertot est la rencontre entre un notable bien sous tous rapports et deux policiers d’un commissariat de province prêts à en découdre.
Oublions tout de suite le film de Claude Miller, nous sommes dans un commissariat aux allures d’une chapelle ardente, à la blancheur immaculée, où son credo est la recherche de la vérité, rien que la vérité.
Rien ne vient encombrer cette messe, rien ne vient perturber notre vision de cette audition, tout est fait pour nous concentrer sur les personnages, sur leurs paroles. Seul un sapin de noël aux lumières colorées et récalcitrantes vient égayer ce décor de Vincent Tordjman.
Le « père » commissaire Toulouse assisté de son « diacre » l’inspecteur Berthil préparent leur messe de minuit en convoquant vers 22h30 le maire de la ville, Monsieur Bergerot, pour l’entendre sur trois viols et meurtres commis sur trois jeunes filles.
Dans une ambiance de plus en plus pesante, nos deux policiers, rompus aux méthodes de la garde à la vue, vont cuisiner à petits feux, comme dans l’enfer, notre magistrat dans le but de lui faire avouer ses crimes. Seuls ses aveux pourraient satisfaire nos deux policiers.
Ils n’ont rien de chiens fous aux méthodes expéditives et savent poser les questions qui doivent faire craquer le témoin qui devient rapidement le suspect numéro un.
L’inspecteur, ancien militaire de carrière, a des relations plutôt directes avec les témoins qui sont heureusement tempérées par la sagesse du commissaire. De ces interventions vont naître quelques rires libérateurs de cette tension grandissante, palpable entre les protagonistes de ce réveillon inattendu.
Notre maire déguste des œufs mimosas, entrée qu’il aime particulièrement lorsque qu’il est convoqué par le commissaire. N’ayant rien à se reprocher, il s’y rend bien volontiers.
Le commissaire égrène alors son chapelet de questions pour faire avancer son enquête. Est-il coupable ? Se sent-il coupable ? Là est la question et toute la pièce repose sur cette ambiguïté de ce témoin à la personnalité très complexe.
Effectivement le maire était présent et proche des trois scènes qui nous préoccupent, mais cela en fait-il un coupable ? Quelles sont les preuves qui pourraient définitivement le faire basculer non plus en tant que témoin ou suspect mais en tant que violeur et meurtrier ?
Dans ce jeu du chat et de la souris, chacun va y aller de ses confidences qui dévoileront la vraie nature de ces vies pas si glamour que cela.
La femme du maire, Madame Bergerot, apportera de l’eau au moulin du commissaire en venant faire une déposition accablante contre son mari. Elle qui n’a toujours pas digéré les soi-disant attouchements que son mari aurait faits sur sa nièce. Cela en fait-il un pervers ? Un pédophile ? Des éléments qui pourraient bien procurer un remarquable bon à l’enquête.
Mais doit-on plutôt croire cette femme ou son mari ? Depuis quinze ans leur vie de couple bat de l’aile et le mari a des besoins que sa femme ne peut satisfaire…jusqu’à cette fin à la scénographie éblouissante, vertigineuse, remarquable d’intensité : une lumière salvatrice dans cette noirceur angoissante.
Y-a-t-il un doute ? Et à qui profite-t-il ?
Cette transposition dans un théâtre, lieu du huis clos par excellence apporte une réflexion sur ce que chacun d’entre nous pourrait vivre dans cet univers glaçant, animé de forces obscures, où l’on peut y perdre son âme si notre faiblesse prend le pas sur la vérité. Sommes-nous tous capables de résister au démon ? Pouvons-nous maîtriser nos émotions, faire fi de nos hontes, de nos travers, de nos secrets, pour ne dire que la vérité ou la cacher ? Quid de notre supposée innocence ?
Dans un suspens habilement étudié par la mise en scène redoutablement efficace de Charles Tordjman assisté par Pauline Masson, les dialogues percutants viennent répondre à ces questions via les comédiens pleinement investis dans leurs rôles. Chacun à sa manière, avec son talent, sa justesse, apporte sa pierre à la construction de l’édifice de la vérité.
Thibault de Montalembert joue parfaitement l’ambiguïté de ce maire soulevée lors de son interrogatoire. Ses paroles autant que ses silences, dans la gravité de son visage, donnent de l’épaisseur à ce petit maire de province, Monsieur Bergerot, qui vit comme il peut sa mandature au milieu de ses concitoyens pas tous très catholiques.
Face à lui Wladimir Yordanoff dans les traits de ce commissaire Toulouse mène son enquête avec un flegme charismatique pour faire craquer son témoin devenu suspect.
Francis Lombrail en inspecteur Berthil joue avec bonheur la mouche du coche dans cette audition, provoquant quelques agacements bien légitimes de son commissaire.
Marianne Basler dans une froideur très bien contenue est la boule qui vient faire éclater le jeu de quilles. Un règlement de compte entre époux qui cache une dépendance qui pourrait être fatale au couple.
Un thriller aux joutes verbales réjouissantes, confronté à une époque où la peine de mort n’était pas encore abolie…
« En garde à vue » au théâtre Hébertot, du mardi au samedi à 21h, matinée le dimanche à 15h30.