« Smoke rings » adapté du livre « Ring » de Léonore Confino au théâtre Michel, mis en scène par Sébastien Bonnabel au sein de « La Cie du libre acteur » est une expérience théâtrale tout à fait inédite.
« Ring » est le premier recueil de la trilogie de Léonore Confino, auteure qui ne m’est pas inconnue et dont j’avais vu en mars dernier l’adaptation par la « Compagnie du chêne roux» de son deuxième livre « Building » (cliquez) qui traitait satiriquement du monde du travail ; le troisième opus étant « Les Uns sur les autres » qui séduisit Agnès Jaoui.
Aujourd’hui c’est le couple qui est au centre de l’action, son intimité dévoilée au grand jour, sans pudeur pour les voyeuristes que nous sommes. Car il faut bien l’admettre nous y sommes allés en connaissance de cause, souhaitant ici et là, en déambulant dans le théâtre, faire des découvertes, confronter nos expériences et se dire qu’en fin de compte notre vie n’est pas si mauvaise que cela.
Une expérience unique qui se nomme « expérience de théâtre immersif » (ce que l’on pourrait comparer au close-up pour la magie) : la découverte d’un théâtre dans sa totalité, où tous les murs sont abolis, pour nos yeux en recherche d’aventure, une aventure qui laisse penser à une suite de saynètes plus ou moins improvisées mais qui en réalité sont très bien construites, ne laissant rien au hasard, même si parfois vous vous trouvez sur le chemin des comédiens maîtrisant parfaitement leurs rôles. Des situations qui vont crescendo jusqu’à la ronde finale libératrice et euphorisante.
Dès votre arrivée, l’accueil est soigné et vous êtes choyés comme des invités se rendant à une fête (un conseil venez à plusieurs pour vivre pleinement l’aventure), dont vous aurez la liberté de choisir son thème…de plus, le choix de la fleur sera déterminant pour la suite de vos déambulations dans le théâtre…deux groupes se formeront…
Un photographe immortalisera votre venue, puis direction le bar (un autre conseil gardez des espèces sur vous) afin d’attendre dans la convivialité et en compagnie d’une collation, l’arrivée de tous les invités au son de ce qui pourrait être « Petite fleur » de Sidney Bechet. Et soudain dans le brouhaha la fête commence, le silence se fait tout naturellement et des voix s’élèvent sur des phases surréalistes ; le ton de la soirée est donné !
Un théâtre comme vous n’en avez jamais vu. Il n’est point question de vous asseoir dans un fauteuil et d’attendre devant le quatrième mur que le rideau se lève : vous êtes au cœur de l’action et suivrez les comédiens partout où leurs folies les conduiront.
Du hall d’entrée, en passant pas la salle, le bar, les loges, la corbeille et même la scène, vous assisterez à des épisodes clés de la vie que beaucoup de couples, beaucoup d’entre vous, ont vécus.
Cette proximité nous fait vivre intensément ces moments où les rires et les larmes se mêlent au coup de sang, aux joies, aux petits riens qui donnent vie à nos amours, à nos ruptures. Dans un réalisme qui pourrait faire peur les comédiens vivent passionnément les épreuves qu’ils traversent. Les yeux dans les yeux, qui parfois croisent les nôtres, vous les entendrez faire leur coming out, se séparer, s’unir, chanter au son de l’Ukulélé. Vous aurez peut-être la chance que l’on vienne murmurer à votre oreille « Un été 42 », un été qui vous donne des frissons. Vous serez hilare, quand l’alcool aidant, vous assisterez à une rencontre arrangée qui tournera en manège. Certains d’entre vous se rappelleront les nuits perturbées par l’allaitement pendant lequel l’homme se trouve impuissant mais dont les pensées s’envolent et d’autres pétrifiés par la lecture d’un journal intime révélant l’adultère. Sans oublier les moments plus ou moins délicieux de la drague ou des disputes.
Autant de saynètes jouées avec fougue, justesse et sincérité dans une belle choralité par les comédiens de « La Cie des libres acteurs ». La mise en scène de Sébastien Bonnabel, assisté par Laura Mariani, a trouvé le juste équilibre, l’énergie pour nous faire voyager dans le théâtre sans pour cela perdre le fil des histoires. Un spectacle dont vous garderez longtemps en mémoire les thèmes qui jalonnent votre vie de tous les jours et qui forcément vous remémoreront des situations insolites.
Léonore Confino avec sa plume acide, vivante et mordante a su trouver les mots justes, les mots qui vont droit au but pour décrire avec précision nos travers et qui vous collent aux lèvres des comédiens.
Des comédiens qui n’ont pas peur de se mettre à nu et vous embarquer le temps d’une représentation dans un univers parallèle : le théâtre dans le théâtre, et nous le devons aux excellents Marie Combeau, Marine Dusehu, Marie Hennerez, Pascale Mompez, Eric Chantelauze, Philippe de Monts, Stéphane Giletta et Emanuele Giorgi. Ils sont tout simplement impressionnants, incroyables de générosité.
Un spectacle surprenant, déroutant mais réjouissant.
« Smoke rings » au théâtre Michel, les dimanches à 20h30 (ouverture des portes à 20h12…), réservation obligatoire.