« La puce à l’oreille » de Georges Feydeau mise en scène par Lilo Baur à la Comédie Française est un pur régal à servir à toute heure !
Quand on respecte l’esprit, les codes et la mécanique de Feydeau, cela fonctionne quelle que soit l’époque et quand il est mis en scène par le génie de Lilo Baur c’est la merveille des merveilles : on jubile devant tant d’inventivité !
Mon Dieu que j’ai aimé cette représentation, cette musicalité jouée par une éblouissante troupe à l’unisson, où tout fonctionne sans la moindre fausse note sur des musiques réjouissantes au son du coucou, tombant par magie aux moments opportuns, de Mich Ochowiak.
Dans Feydeau vous avez toujours la mise en situation comme pour un feu de camp regroupant une bande de copains.
Dans un premier temps vous apportez les brindilles puis les branches pour allumer le feu (acte I), ensuite devant de feu de joie qui étincelle, qui crépite, vous faites la fête (acte II) ; puis vient le moment de se séparer, de mettre en veille le feu, ou tout simplement de l’éteindre (acte III).
C’est exactement ce qui se passe avec « La puce à l’oreille ».
Raymonde Chantebise soupçonne son époux Victor-Emmanuel (cela tombe bien, un clin d’œil pour la Savoie…) de la tromper. Par une belle matinée ensoleillée, elle confie à sa meilleure amie Lucienne Homenidès de Histangua qu’elle a ouvert un colis destiné à son mari et a trouvé une paire de bretelles lui appartenant. C’en est trop, elle doit en avoir le cœur net et par un stratagème, elle organise un rendez-vous dans l’hôtel de Minet-Galant, d’où provient le colis, afin de l’y confondre et savoir avant tout avec qui.
Toute personne cocue, depuis la nuit des temps, veut toujours savoir pourquoi, avec qui et comment.
Georges Feydeau ne déroge pas à la règle et a concocté une comédie où les entrées et les sorties sont réglées comme du papier à musique. Une partition qu’il faut jouer sincèrement si l’on veut que les effets escomptés fassent mouche et c’est admirablement le cas !
Ses répliques acerbes sur cette bourgeoise bien pensante sont intemporelles, elles traversent les siècles sans jamais se démoder.
Il a l’art et la manière de mettre en contact des personnes qui ne devraient pas se rencontrer et entraînent les spectateurs dans un tourbillon de rires. L’avantage pour le public et cela aussi est une raison de son succès, c’est que le spectateur a toujours une longueur d’avance sur le pauvre malheureux qui se fait prendre dans les mailles du filet.
Comme souvent, Feydeau aime apporter de la couleur dans ses personnages avec un accent sud-américain, un accent chantant, jaloux de préférence, et cette fois-ci, il complète cette folie avec un sosie.
Notre Victor-Emmanuel, bourgeois de son état va devoir faire face à son sosie, un pauvre valet de l’hôtel, ivrogne pour pimenter la sauce, au nom de Poche.
Avec tous ces ingrédients, la mayonnaise va vite monter dans les rideaux et telle une locomotive lancée à cent à l’heure va entraîner dans son sillage tous les personnages dans une folie délirante jusqu’à l’issue fatale ou non : à vous de le découvrir.
Dans un décor d’Andrew D Edwards, mis en lumières avec brio par Fabrice Kebour, toujours à l’image de la grandeur du superbe travail des ateliers de la Comédie Française, Lilo Baur a transposé l’action dans les années 60, à la montagne, à la période de Noël, moment festif du regroupement familial et de la réconciliation.
Dès la première scène, je me suis retrouvé en enfance, j’avais l’impression d’assister à un épisode des « Saintes chéries ». Tout y était, les couleurs, les très beaux costumes d’Agnès Falque, confectionnés par les petites mains des ateliers qui font comme toujours un travail remarquable.
Sa mise en scène est irréprochable, rythmée à souhait (2h15 sans entracte : chapeau pour les comédiens !) aidée par Joan Bellviure, tous les comédiens sont excellents, il n’y a pas de « petits » rôles, tous sont mis en valeur, tous ont une présence indispensable au bon déroulement de l’action, tels des engrenages qui s’entraînent les uns les autres sans jamais s’enrayer dans une fluidité parfaite.
Comment ne pas fondre devant cette neige qui tombe sur ce décor amenant son lot de skieurs de fond. Comment ne pas rire aux éclats avec cette scène complètement loufoque de l’hôtel de l’acte II avec sa fanfare ou celle avec le boxeur qui ne parle pas un mot de français. Quelques entorses de Lila Baur qui s’intègrent parfaitement dans l’esprit de Feydeau sans le dénaturer.
Oui, un acte II époustouflant digne de Feydeau porté au sommet de sont art.
Je ne veux pas faire de favoritisme, mais par l’ampleur de leurs rôles respectifs, leurs présences sur scène, forcément on s’attache plus à des personnages que d’autres.
En premier lieu Serge Bagdassarian dans Chantebise et Poche, un comique tout en retenu, un jeu délicat, une opposition entre les deux personnages très juste et savoureuse.
Jérémy Lopez, espiègle à souhait, remporte énormément de succès avec son accent déclenchant les fous rires en cascade. Son jeu très dynamique, accentue le rythme endiablé de la mise en scène.
Le beau brun ténébreux qui fait chavirer le cœur de ses dames, et on les comprend, joué tout en charme par le malicieux Sébastien Pouderoux, entouré par les deux divines ingénues Anna Cervinka et Pauline Clément aux cœurs tendres.
Un docteur qui n’est pas en reste dans son analyse de la santé de ses patients joué coquinement par Alexandre Pavloff.
Sans oublier le neveu Chantebise, au défaut de prononciation jubilatoire, joué par Jean Chevalier.
Complètent cette brillante distribution : Thierry Hancisse, Cécile Brune, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Elise Lhomeau, Birane Ba, et les comédiens de l’académie : Camille Seitz, Aksel Carrez, Michaël Pelissier et Nicolas Verdier.
Une puce à l’oreille qui vous réservera beaucoup de surprises et qui vous mettra de bonne humeur, jouée dans le cadre magique de la salle Richelieu de la Comédie Française : à ne pas rater pour l’entretien du bon fonctionnement de vos zygomatiques.
« La puce à l’oreille » à la Comédie Française, soirées et matinées suivant le calendrier, jusqu’au 23 février 2020.