« La petite fille de Monsieur Linh » de Philippe Claudel, adaptée et interprétée par Sylvie Dorliat, mise en scène par Célia Noguès au théâtre du Lucernaire (salle Paradis) est un conte à l’imaginaire développé aux accents présents.
Je ne connaissais pas le roman de Philippe Claudel, auteur auréolé de nombreux prix, mais cette histoire, cette écriture aux reflets poétiques se laisse apprécier dans la douceur d’une rencontre. Sylvie Dorliat a donné vie à tous ces mots couchés sur le papier, endormis par la fureur de la guerre que l’on veut fuir. En plusieurs dimensions, elle illustre le périple de ce pauvre grand-père qui a tout perdu, mis en lumière par Célia Noguès.
On ne sait pas de quel pays Monsieur Linh s’enfuit, ni même dans quel pays il émigre, même si nous avons au fil du récit quelques idées, mais le sujet n’est pas là. C’est celui de l’exil dû à la guerre avec tous les déchirements qu’il induit, celui de l’accueil que l’on fait à toutes ces personnes dans nos pays dits en paix.
Monsieur Linh s’enfuit avec une simple petite valise, en serrant dans ses bras sa petite-fille Sang Diû, un prénom évocateur qui signifie « matin doux », qu’il a sauvée de ce cauchemar que représente la guerre…il a perdu sa femme, son fils, elle a perdu ses parents.
Arrivés dans un « port occidental », un monde curieux, froid, Monsieur Linh va rencontrer, subir une nouvelle épreuve, celle de se faire accepter par une population pas toujours coopérative, pas toujours accueillante.
Une situation qui ne change pas aux fils des années, comme le montre l’actualité brûlante.
Sylvie Dorliat de sa voix grave et passionnée conte cette histoire, ce drame avec beaucoup d’humanité.
Le soleil de sa voix nous réconforte tant cette histoire banale, que tant de personnes vivent de nos jours, nous cueille d’émotions.
Elle évoque dans une légèreté bienveillante la rencontre, sur un banc, de Monsieur Linh avec celui qui deviendra son ami, son confident, jusqu’au dénouement tragique : Monsieur Bark. Un banc objet central de ce décor sur lequel la vie s’écoule avec ses misères et ses joies.
Monsieur Bark, un homme qui fume cigarette sur cigarette d’une façon étrange, tout comme sa personnalité nous interpelle. Son côté clownesque donne de la souplesse à cette atmosphère parfois pesante.
Monsieur Linh, au fil de ses souvenirs, trouve de la chaleur dans ces rapports amicaux, un sens à sa nouvelle vie.
Sa petite-fille qu’il aime tant, malgré la charge que cela représente, est l’objet de toutes ses attentions, celle qui le maintient en vie. Elle lui permet de surmonter sa nostalgie d’une famille unie et séparée par les affres de la guerre qu’il ne reverra plus jamais.
Il est exilé, il est devenu un émigré, un émigré noyé dans la masse qui doit s’adapter, au-delà de la folie, à ce monde étrange, cruel, parfois hostile.
Célia Noguès qui signe la mise en scène de ce roman adapté par Sylvie Dorliat, a su concilier le temps présent vécu par cet exil, et la nostalgie qui habite ce pauvre homme déraciné de son pays, de ses amours.
Une petite lumière rouge suspendue dans le temps, témoin d’une présence, comme on peut la voir dans les églises, liée aux voilages, signes du mouvement, du temps qui passe, crée un espace de vie, de rencontres, de dialogues.
Célia Noguès joue, dans les mouvements, les ombres, avec le corps de Sylvie Dorliat pour faire passer toutes les émotions que le texte procure.
Un texte, un jeu, une émotion à découvrir pendant tout l’été.
« La petite fille de Monsieur Linh » au théâtre du Lucernaire, du mardi au samedi à 21h, matinée le dimanche à 17h, jusqu’au 11 août.