« Radieuse vermine » une comédie de Philip Ridley, adaptée par Louis Bernard est un conte, une fable, une satire…appelez cette pièce comme vous voulez mais elle est beaucoup plus noire qu’il n’y paraît malgré les flots de rires qu’elle provoque.
L’auteur exploite, explore avec intelligence les côtés les plus obscurs, les penchants les plus sombres de l’âme humaine.
Avec férocité, avec cruauté, il nous fait réfléchir sur l’avenir de l’homme ; jusqu’où est-il capable de se vendre pour obtenir, jouir de son confort ?
Sommes-nous capables de nous raisonner, de dire stop à la société de consommation ?
Trois personnages vont le temps d’une soirée nous raconter une fable, comme notre bon vieux monsieur de La Fontaine.
Mais ce soir c’est Méphisto qui prend le relais en la personne de l’agent immobilier et du sans-abri.
Il vient proposer son deal, son pacte à deux jeunes recrues.
Fleur et Olive forment un couple des plus banals, un jeune couple sur le point d’avoir un enfant et qu’il va falloir loger dignement.
Ce jeune couple de cadres dynamiques, aux dents longues, souhaite le meilleur pour leur avenir, et cet avenir commence par l’acquisition d’une maison : mais voilà en ont-ils les moyens ?
C’est alors que la providence sonne à leur porte en la personne d’un agent immobilier que j’ai reconnu en la personne du diable.
Il va leur proposer dans le cadre d’un programme d’urbanisme, voué à repeupler un quartier déserté par les « bien-pensants », d’acquérir gracieusement leur maison de rêve mais à la seule condition de la rénover par leurs soins : le pacte est scellé !
Leurs âmes vont bientôt leur échapper, notre jeune couple va entrer dans une spirale infernale pour satisfaire leurs exigences toujours plus nombreuses, toujours plus folles.
Notre société de consommation ne nous conditionne-t-elle pas à posséder toujours plus…à ne pas se satisfaire de ce que l’on a acquis, à toujours comparer avec le « voisin » : conditionnement de l’enfance pour savoir qui a la plus belle…
Ainsi « Radieuse vermine » prend tout son sens et vous comprendrez ce que l’auteur a voulu pointer du doigt en mettant nos travers dans la lumière.
De l’absurde jaillit le rire, la folie, mais je ne vous en dirai pas plus au risque de dévoiler les ressorts de l’intrigue.
En revanche, ce qui est amusant, voire troublant, de la part de notre Méphisto (qui pourrait prendre les traits d’un parti extrémiste) reconnu pour son âme sombre, noire, est d’avoir fait évoluer les personnages dans un décor tout blanc, symbole de la pureté, où seule l’entrée d’une boîte aux lettres permet la communication…aucun objet, aucun mobilier, aucun accessoire : tout naîtra de l’imagination de nos héros ; dans quel monde évoluent-ils ?
Cette couleur d’un blanc immaculé, qui s’adaptera au fil de l’action grâce aux belles lumières de Flore Vialet, plongera dans la couleur du péché.
Il fallait pour rendre crédible cette fable, un couple d’exception : Joséphine Berry dans le rôle de Fleur et Louis Bernard dans le rôle d’Olivier dit Olive (vous aurez noté au passage qu’il est également l’adaptateur de la pièce, créée au Festival OFF d’Avignon en 2017) encadré par la non moins admirable Floriane Andersen qui joue les rôles de Mlle Luce (agent immobilier) et Laure (la sans-abri). La sans-abri qui vient vérifier que son œuvre progresse dans le bon sens ou donner un sens moral : allez savoir…
Elle apporte dans cette pièce une respiration, un souffle pour ses deux protégés qui risqueraient de s’asphyxier tant ils sont impliqués dans leur histoire.
Il est à noter que ces trois comédiens ont suivi une formation dans des cours d’art dramatique à Londres et cela se voit : ils savent tout faire sur scène et se donnent sans compter. Il y a des heures et des heures de travail pour arriver à un tel résultat de réussite que l’on ne voit pas l’effort fourni : tout semble naturel.
Joséphine Berry avec son sourire est le rayon de soleil qui illumine ce décor, son jeu est « léger », frais, elle évolue sur scène comme une danseuse : le cygne blanc ou noir selon les circonstances.
Elle apporte de la bienveillance dans ce couple…quoique…
Louis Bernard outre le fait qu’il signe une brillante adaptation est un taureau, un bulldozer sur scène. Il déploie une telle énergie sur scène que l’on comprend mieux quand on sait qu’il a été un sportif de haut niveau. Il faut une sacrée condition physique pour interpréter la scène finale de la fête entre voisins à l’occasion de l’anniversaire du fils Benjamin.
C’est une véritable partie de ping-pong qu’il joue avec Joséphine Berry : la moindre erreur de l’un ou de l’autre et c’est le train qui déraille.
Avec son air angélique, son jeu est précis, il fait preuve d’une grande justesse dans son interprétation.
Les costumes de Louise Marchand-Paris procurent une couleur acidulée, juvénile aux personnages à qui on donnerait le bon Dieu sans confession.
Pour orchestrer cette symphonie, il fallait un chef d’orchestre qui comprenne la musique de l’auteur et qui sache jouer toutes les notes, les silences, les soupirs.
Eh bien il n’y a aucune fausse note dans cette partition avec David Mercatali qui est considéré en ce moment en Angleterre comme l’un des plus jeunes talentueux metteurs en scène : cette réputation n’est pas usurpée.
Il signe une mise en scène précise, habile qui donne la part belle aux comédiens.
En conclusion, ne pensez surtout pas que vous irez voir cette pièce de votre propre initiative…Méphisto y veille…
« Radieuse vermine » au Petit Montparnasse, du mercredi au samedi à 19h, + samedi à 16h et dimanche à 17h15