« Les feux de l’amour et du hasard » de presque Marivaux par la Comédie presque française est une comédie complètement déjantée, kitsch, loufoque qui donne une nouvelle jeunesse, un nouveau souffle au marivaudage. L’adaptation est de Pierre Gascoin, Célia Pilastre et Crystal Shepherd-Cross.
Dans cette grande salle du Palace, les comédiens s’en donnent à cœur joie pour nous faire rire dans une version « soap » à l’américaine.
L’histoire de la pièce de Marivaux est respectée : Silvia et Dorante ont la même idée, se faire passer l’une pour la servante et l’autre pour le valet afin de tester leurs futurs prétendants.
Dans cette version soap : Silvia devient Victoria, Dorante devient Brandon et l’action se passe dans le ranch de Bob Flanagan (Monsieur Orgon).
Nous assistons ce soir, en direct, à l’enregistrement de l’épisode 4731 de cette superproduction.
Tout au long de cette version une partie du texte de Marivaux va être dite par la bande de joyeux lurons, accompagné avec des apartés tous plus savoureux les uns que les autres.
Leur travail m’a fait penser à la pièce que j’avais vue en 1982 dans le théâtre des Bouffes Parisiens et qui m’avait fait pleurer de rire : « En sourdines les sardines » de Michael Frayn jouée entre autres avec Colette Brosset, Jacques Legras, Jean-Luc Moreau et mise en scène par Robert Dhéry : l’esprit des Branquignols.
Car il faut être un peu fou pour présenter une telle version, qui pourrait indisposer les puristes des comédies classiques.
Cette adaptation pourrait permettre à certains de se plonger dans la version originale et donner des envies à d’autres d’aller l’admirer par exemple à la Comédie Française ou comme récemment au Lucernaire et à la Porte Saint-Martin.
Cette version mérite toute notre attention, tous les ingrédients sont présents pour mener à bien cette périlleuse entreprise qui se solde par une réussite :
Dans un décor de studio d’enregistrement d’une série télévisée, le public est conduit à jouer son rôle ; à la lecture de panneaux nous sommes amenés à réagir et nous sommes très bons ! Catherine Cosme est une habituée des plateaux de télévision et de cinéma, elle a compris l’esprit dans lequel devait se situer cette transposition et présente une scénographie digne des feux de l’amour version TV USA avec les projecteurs à la vue de tous comme sur un plateau de TV.
Les costumes d’Alexia Crisp-Jones complètent admirablement ce soap avec un grain de folie visuel.
N’oublions pas la musique sans laquelle les feux de l’amour n’existeraient pas.
Dès le début nous sommes emportés dans ce monde merveilleux de la série avec une musique signée Raphaël Bancou (compositeur de la pièce « Comédiens !» qui triomphe au théâtre de la Huchette et qui a reçu le prix de la meilleure comédie musicale 2018 !).
Une voix off recadre et guide tout au long de cette folle aventure les comédiens sur scène dont les tensions vont crescendo, quelques peu alcoolisées ; de plus leurs micros donnent une couleur encore plus décalée au texte, à leurs jeux, avec les effets spéciaux appropriés.
Les répliques classiques résonnent avec un son de modernité dans un jeu exagéré à la limite du caricatural mais qui fait tellement rire.
La distribution est homogène : Scotch Brit (Victoria – Silvia), Diana Laszlo (Kimberley – Lisette), Moche Pitt (Bob Flanagan Junior – Mario), Philippe Risotto (Bob Flanagan – Monsieur Orgon), Matthias Van Khache (Dick – Arlequin) et Romain Vissol (Brandon – Dorante) ; chacun est à sa place, des personnages hauts en couleur, ils font tous rire et maîtrisent bien les apartés qui se glissent dans les répliques de Marivaux : un vrai régal, un mariage réussi, une bonne surprise !
Pour orchestrer cette troupe, ce marivaudage il fallait une mise en scène rythmée, fluide mais qui donne priorité à l’humour et à la fantaisie : eh bien ce sont Célia Pilastre et Crystal Shepherd-Cross qui ont réussi cet exercice périlleux.
« Les feux de l’amour et du hasard » au théâtre Le Palace, les lundis et mardis à 20h30